Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/125

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

patrie, à la réunion de Juda et d’Éphraïm, à la restauration de la famille de David, à une lutte victorieuse contre le peuple mystérieux de Magog, qui voudra écraser la nation relevée de ses ruines. En plein exil, tandis que les événemens, bien loin de confirmer ses espérances, semblent avoir pris à tâche de les confondre, Ézéchiel trace tout un plan de reconstruction idéale, formule les lois politiques et religieuses qui devront y présider, divise le pays dépeuplé entre les familles revenues, rebâtit en esprit le temple et la ville. On dirait un républicain sous le second empire rédigeant, au lendemain du coup d’état, la constitution de la future république française et la détaillant par le menu. C’est faute de se rendre compte d’un pareil point de vue que les prophéties d’Ézéchiel restent le plus souvent lettre close pour le lecteur. Ce serait en effet une grande erreur de penser qu’Ézéchiel ait jamais vu fonctionner les lois qu’il édicte. C’est un projet qu’il élabore, pas autre chose. En même temps, on peut voir que sur une foule de points, tels que la consécration de l’autel des sacrifices, les conditions exigées pour exercer la prêtrise, le costume et la discipline des prêtres, Ézéchiel ignore de la manière la plus complète les prescriptions du Pentateuque sur les mêmes sujets. Ces prescriptions, attribuées à Moïse, sont évidemment postérieures à Ézéchiel, et dénotent qu’on a fait après lui de nouveaux pas dans la voie de la codification sacerdotale. Ainsi, sous Josias et le régime déjà très strictement jehoviste introduit par ce roi, tous les lévites sans exception pouvaient remplir les fonctions sacerdotales. Ézéchiel n’entend pas qu’il en soit de même à l’avenir. Dans sa constitution idéale, la seule famille de Zadok, élue parmi les familles lévitiques à cause de sa fidélité héréditaire, aura le droit de sacrifier à l’Éternel. Le reste des lévites a donné de trop mauvais exemples au peuple soumis à son influence, et il est juste qu’il soit ré luit à des fonctions toujours religieuses, mais désormais subalternes. Les lois du Pentateuque vont encore plus loin dans cette direction aristocratique, et font remonter jusqu’à Aaron, compagnon de Moïse, l’origine de la différence de plus en plus marquée entre les principaux sacrificateurs et les prêtres de rang inférieur. Plus d’un indice du même genre peut être recueilli, qui prouve qu’Ézéchiel représente la transition entre l’état encore peu réglé de la religion juive et la législation sacerdotale détaillée, promulguée plus tard, et qui passa pour remonter jusqu’à Moïse lui-même. Ces différences en matière de lois religieuses, qui jusqu’à ces derniers temps avaient échappé à l’attention des lecteurs de la Bible, n’avaient pourtant pas été toujours ignorées ; ce sont elles qui firent hésiter les vieux rabbins sur la valeur qu’il fallait attribuer aux écrits d’Ézéchiel. Au Ier siècle de notre ère, on en discutait encore dans les écoles juives l’autorité canonique.