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tel qu’il se montre aux environs de l’ère chrétienne, contient plus d’un élément dont il serait puéril de contester l’origine persane; mais là aussi se vérifie la loi, trop souvent méconnue, que les révolutions les plus radicales se rattachent au passé par des liens étroits et nombreux, et qu’en particulier une religion peut se transformer, s’approprier même des élémens hétérogènes, sans rompre avec son principe essentiel, et par conséquent sans perdre son identité. Préciser autant que possible ce qui subsista du mosaïsme antérieur à la captivité, indiquer les innovations qui se greffèrent alors sur la vieille souche nationale et religieuse, déterminer l’action personnelle des hommes qui parvinrent à les introduire, en un mot dérouler la genèse du judaïsme pendant cette période de formation constitutive, tel est l’objet spécial de cette étude, pour laquelle nous recourons de nouveau à l’érudition aussi limpide que profonde et libre d’un professeur hollandais qui n’est plus un étranger pour les lecteurs de la Revue. On se souvient peut-être que, dans un travail antérieur, nous avons retracé d’après M. Kuenen les moyens termes successifs qui permirent aux Israélites du temps des rois et des prophètes de passer d’un polythéisme très grossier à un monothéisme rigoureux[1]. C’est à la déduction historique de ces moyens termes qu’était consacrée la première partie du grand ouvrage de M. Kuenen sur l’histoire de la religion d’Israël. La question spéciale que nous allons envisager, et dont l’intérêt n’est pas moindre, est un des principaux sujets traités dans la seconde partie.


I.

Rappelons brièvement l’état politique et religieux du peuple juif au VIe siècle avant notre ère, c’est-à-dire peu de temps avant que les victoires du roi chaldéen Nebucadrezar lui eussent ravi l’existence comme nation.

Il s’en faut bien que la totalité des Juifs fût encore attachée de cœur au monothéisme. L’élite seule de la nation le professait avec rigueur sous la direction morale des prophètes ou inspirés de Jehovah. Un grand nombre, si ce n’est la majorité, continuait par tradition et aussi, comme on n’en peut douter, par un penchant superstitieux pour des rites plus tragiques ou plus joyeux que ceux du jehovisme, de s’associer aux peuples voisins pour adorer les autres divinités sémitiques, en particulier Moloch, l’épouvantable idole qui se repaissait de victimes humaines. Cela ne les empêchait pas, il est vrai, de regarder Jehovah comme le dieu spécial d’Israël ; mais il fallait s’élever au-dessus de ce vulgum pecus pour rencontrer ceux

  1. Voyez la Revue du 1er septembre 1869.