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deux médaillons sculptés dans un groupe en marbre représentant le saint sépulcre. Ce groupe est une œuvre de la renaissance composée d’une manière charmante, avec un remarquable souci de la variété des expressions et un amour évident de la beauté, mais sans grande portée morale, et qui est bien loin pour le pathétique de tel de ces groupes d’une sculpture plus populaire, mais plus puissante, que l’on rencontre dans les églises de Champagne, celui de l’église de Saint-Jean de Chaumont par exemple, qui est d’une si éloquente profondeur de sentiment, et dont nous parlerons peut-être un jour. Il est évident que l’artiste qui a composé cette œuvre d’une pensée médiocre, quoique d’un travail parfait, avait plus de goût que de génie; en tout cas, je suis sûr qu’il avait ce qui vaut peut-être mieux que le génie, une âme exquise, susceptible des mouvemens les plus délicats et les plus élevés. Au moment où j’allais quitter ce groupe, mes yeux se portèrent par hasard sur deux médaillons sculptés contre la face du tombeau. D’abord je n’y pris pas garde, croyant que ces médaillons étaient les effigies de donataires riches, mais inconnus, lorsque je crus reconnaître à certains détails les costumes florentins du XIVe siècle. Je me baissai, et, surprise charmante, l’un de ces médaillons était celui de Dante, et l’autre celui de Giotto. Il y a là un témoignage évident de piété et de reconnaissance qui me toucha singulièrement. C’était bien un vrai fils de la renaissance, celui qui eut l’idée d’inscrire sur le marbre travaillé par sa main les effigies de ces deux grands hommes, sources d’où tout le développement des arts et des lettres a découlé, et qui eut la modestie gracieuse de rapporter ainsi tout le mérite de son œuvre à ceux qu’il appelait sans doute ses pères et ses maîtres. « Toute culture vient d’eux, et je ne suis que par la grâce de leur génie, qui est venu apporter une lumière avant laquelle tout était ténèbres, et qui maintenant éclaire tout homme venant en ce monde. Avec eux aussi quelque chose de grand est sorti du tombeau comme le Christ pour ne plus mourir, l’éternelle beauté, reine des vivans et des morts, des morts dont elle a ressuscité et conservé la tradition, des vivans dont elle échauffe et éclaire les âmes. » Voilà ce que disent bien distinctement dans un symbolique langage ces deux médaillons. Tout le credo à demi chrétien, à demi platonicien de la renaissance apparaît dans ce témoignage de reconnaissance et dans la place de son œuvre que l’artiste a choisie pour l’y inscrire.


EMILE MONTEGUT.