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un exposé fort intelligent, fort pénétrant et fort lucide de la situation morale de la noblesse française au XVIIIe siècle. Selon Besenval, cette noblesse est toujours au lendemain de Richelieu. Quoique près de cent cinquante années se soient écoulées entre cette époque et le moment où il écrit, ces cent cinquante années ne comptent que pour un seul jour, car la situation est ce qu’elle était au lendemain de la mort du cardinal, et le règne de Louis XIV n’a fait autre chose que l’affermir. Ce qui existe est, non l’ancienne constitution française, mais une innovation qui ne remonte pas plus haut que Richelieu. Il donne donc clairement à entendre, avec toute sorte de ménagemens et de réticences, que la monarchie française telle qu’elle existe depuis plus de cent ans est une sorte de statu quo, prolongé par le fait de circonstances fatales dont la plus considérable a été le long règne de Louis XIV. Ce n’est qu’un statu quo, mais qui est devenu singulièrement difficile à changer par suite de cette longévité qui a créé une nouvelle forme d’habitudes, et qui rend chaque jour plus énorme l’immense intervalle de temps que devrait franchir la noblesse pour retrouver son indépendance politique et son importance dans la nation. Si la noblesse française voulait être quelque chose en effet, il lui faudrait sauter d’emblée par-dessus ces cent cinquante années; il ne s’agirait pas, pour obtenir un résultat aussi considérable, de remonter une courte période de temps, de revenir du ministère existant à tel autre ministère; il lui faudrait se replacer dans la situation où elle se trouvait à l’avénement de Richelieu sous peine de ne rien faire, car rien d’essentiel n’a changé en France depuis cette époque.

L’exposé historique de Besenval, qui connaissait si bien le dessous des cartes de son temps, me paraît donner la clé véritable des opinions et des sentimens ésotériques d’une partie de la noblesse française au XVIIIe siècle, surtout de la plus haute. Elle n’avait jamais caché le dégoût que lui causait le vasselage doré auquel l’avait soumise la monarchie absolue, et combien il lui en coûtait de composer la classe des premiers sujets du roi au lieu de composer celle des premiers citoyens du pays. Un instant, sous la régence, elle avait eu une lueur d’espoir; ce rayon s’était vite éteint, et elle était retombée comme devant sous le joug monarchique, joug moins dur à supporter qu’au temps de Louis XIV, mais qui la laissait aussi dépendante politiquement. N’y avait-il cependant aucun moyen de recouvrer un peu de liberté, un peu d’importance, d’être une classe douée du pouvoir et du droit de faire quelque chose par elle-même et autrement que par ordre? L’exemple de l’Angleterre était là, et sa révolution, autrefois objet de scandale pour les générations que les crises de la fronde avaient ren-