Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/967

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est là le mal qui nous travaille. Avec le sentiment d’une grande œuvre à poursuivre en commun, nous ne savons comment accomplir cette œuvre. Est-ce donc cependant que les difficultés et les obstacles viennent du pays lui-même, de ce malheureux pays si éprouvé, si cruellement atteint, si digne encore d’être aimé et servi par ceux à qui il remet ses destinées ? Bien au contraire, le pays, on le sait, on le voit, ne se refuse à rien, et aujourd’hui comme hier il est prêt à tout, il se résignera au fardeau qui s’impose à lui, il ne demande qu’à suivre l’impulsion qu’on voudra lui donner. Certes la France a terriblement souffert de la guerre et d’une invasion qui a duré six mois. Elle a vu ses champs ravagés, ses villes rançonnées ; sur bien des points, le travail a été fatalement suspendu, les épargnes se sont nécessairement épuisées. Ce que l’invasion avait commencé, les agitations infécondes et la meurtrière guerre civile sont venues l’achever ou l’aggraver. Il est trop évident qu’un redoutable coup a été porté à la fortune publique, et pourtant il y a dans cette nation une telle puissance de production et de crédit, une si énergique élasticité, qu’il n’y a presque en vérité qu’à frapper le sol pour en faire sortir des ressources. Si démesurée, si accablante que soit l’indemnité de guerre qui lui a été infligée, la France sait bien qu’elle doit la payer pour affranchir son territoire. Matériellement elle le peut par un effort vigoureux, en se remettant au travail pour suffire à une telle charge et refaire sa fortune perdue. A coup sûr, la France n’est point disposée à rester insolvable, au risque de laisser ses provinces en gage ; elle le dit sous toutes les formes, par toutes les manifestations de sa pensée.

Est-ce au point de vue moral et politique qu’il peut y avoir des difficultés dans le pays ? Il est bien clair que le pays a souffert moralement autant que matériellement. Ce qu’il veut, ce qu’il préfère, il ne le sait plus trop lui-même. Il éprouve une grande lassitude, et il n’est pas sans laisser voir un certain scepticisme à l’égard de tous les régimes qui s’offrent à lui. Il a volontiers l’humeur chagrine, la manie raisonneuse, même une exubérance batailleuse et bruyante dans le midi. C’est un tumulte assez confus, nous en convenons. Au fond de tout cela, que trouve-t-on ? La passion inquiète d’une direction, peut-être un certain dépit de ne point sentir cette direction autant que l’instinct public le voudrait. Écartez les fictions des partis pour arriver à la réalité, c’est vraiment un pays qui n’aspire qu’à être conduit, libéralement conduit, bien entendu, qui cache des trésors de docilité et de soumission pour ceux qui sauront faire appel à sa raison sans blesser ses instincts. Il n’est révolutionnaire que par circonstance, il est conservateur par nature et par goût. L’obstacle n’est point en lui, il est certain que dans sa masse et dans son bon sens natif il échappe aux excitations des partis, il n’est point douteux qu’il acceptera ce qui aura été régulièrement décidé en son nom. Le