Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/966

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 février 1872.

Parce que dans une crise comme celle où la France est engagée tout ne peut pas s’accomplir en un jour, parce qu’il y a des malaises, des incohérences, des difficultés renaissant à chaque pas, qui tiennent aux choses autant qu’aux hommes, ou, si l’on veut, aux hommes autant qu’aux choses, ce n’est point assurément un motif pour se laisser envahir par l’esprit de découragement, pour imaginer chaque matin que tout est perdu, — pour s’abandonner en fin de compte à la fatalité des peuples qui ne savent plus se conduire. Ce n’est pas non plus sans doute un motif pour nier ce qui est évident, pour se livrer à un optimisme aussi décevant que futile, et pour se figurer qu’on guérira le mal qui peut exister avec des illusions. C’est une raison pour avoir les yeux ouverts sur tout ce qui se passe, pour prendre la situation telle qu’elle est sans rien exagérer et sans rien diminuer, pour oser regarder la vérité en face, avec la résolution d’y trouver un stimulant de plus, un aiguillon généreux pour toutes les volontés sincères et patriotiques. Eh bien ! oui, il est très vrai que nos affaires ne marchent pas toujours comme elles pourraient et comme elles devraient marcher, même en tenant compte, surtout peut-être en tenant compte des conditions laborieuses et cruelles où la France s’est vue jetée tout à coup, presque à l’improviste. Il est très vrai qu’elles semblent quelquefois nouées et paralysées par une sorte de mauvais destin. On s’accoutume à vivre dans une atmosphère d’impressions maladives. Souvent on s’arrête devant les résolutions les plus simples, les plus nécessaires, pour perdre le temps à s’épuiser en conflits inutiles, à tourner autour des questions sans les aborder, à calculer les chances de toutes les éventualités possibles, même de celles qu’on redoute le plus. On dispute à perte de vue sur la réorganisation, sur le rachat du territoire, sur la république définitive, sur la monarchie, sur le dernier manifeste de M. le comte de Chambord, et l’œuvre pratique de la régénération française reste en suspens, ou du moins elle ne se développe pas avec cette suite et cette netteté qui confondent toutes les dissidences, qui entraînent les esprits et les volontés.