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Les philosophes s’épuiseront à crier que la liberté est inaliénable, ils ne sauveront pas une parcelle de liberté. Il faut même reconnaître que cet accord d’une nation fait loi pour ceux qui la composent, et qu’on doit se soumettre aux institutions de son pays, dût-on les trouver mauvaises et le dire. Est-ce dans ce fait accidentel, dans cette transaction nécessaire qu’il faut chercher l’origine d’un droit philosophique et universel de la société sur les biens des particuliers ? A quoi bon discuter le droit de ce peuple à la servitude volontaire, si la servitude qu’il embrasse anéantit sa civilisation ? Qu’est-ce donc que le droit de mal faire ou de se tuer ? Un homme se donne la mort ; irons-nous discuter sur sa cendre le droit au suicide ? Une société adopte un système qui la perd : ira-t-on invoquer le droit de se tromper soi-même pour défendre la doctrine, et proclamer un principe légitime parce qu’il le deviendra le jour où il sera consenti ? C’est abuser du langage et de la logique. Cependant ceux qui fondent le despotisme de l’état sur la liberté du contrat social ne font pas autre chose. Il faudrait commencer par démontrer que leur système est le plus conforme à la nature humaine ; alors, satisfaisant aux conditions de la vie de chacun, il pourrait former l’association de tous, et mériterait d’obtenir leur consentement.

En réalité, pour qu’une association soit légitime, c’est-à-dire pour qu’elle vive, il faut qu’elle laisse au principe spontané toute son énergie. Voilà précisément ce qui fait la force des petites associations constituées sous un régime de liberté, où chacun est maître de contracter des engagemens et connaît les limites de ceux qu’il accepte ; le cercle d’action est assez restreint pour que chaque membre puisse recueillir le bénéfice de son activité, et se sente responsable. Alors le germe des entreprises est fécondé, l’intérêt n’est pas étouffé, et l’association le rend plus efficace. C’est là qu’il faut chercher le remède à beaucoup d’abus et le principe d’une répartition plus équitable ; c’est dans cette voie qu’il faut diriger les mécontens, en leur montrant le soulagement de leurs maux dans l’union des volontés et l’usage raisonné des ressources communes ; c’est ce refuge qu’il faut offrir à ceux qui s’accommodent mal des salaires fixes, et qui-sont assez hardis pour affronter les chances de la perte ou du gain. Le dédain qu’on témoigne aux associations libres ne peut pas durer ; elles n’ont d’autre tort que d’avoir été encouragées par l’empire, vantées par la commune et revendiquées par l’Internationale. C’en est un fort grand aux yeux des gens modérés, et le système a souffert de pareils protecteurs ; mais ceux-ci n’en pourront jamais rien tirer, car ce qu’ils désirent c’est le despotisme de la grande association, de l’état, et cette tyrannie n’a pas d’ennemis plus sûrs que les petites sociétés. Ce sont ces dernières qui