assurer les effets ; en l’oubliant, elle perd le fruit de son indépendance et défigure le type même de la nation.
Si le passé reste muet sur le droit primordial de la société, est-ce l’avenir qui le lui donnera ? Entrons-nous dans une ère nouvelle ? On avoue qu’à l’origine de toute société l’histoire et la logique montrent l’exercice d’un droit individuel ; mais la logique et l’histoire se transforment. Au système de l’égoïsme doit succéder, dit-on, celui de la fraternité universelle ; voilà pour le fait. Quant au droit, où le chercher, sinon dans le consentement même des citoyens ? Ne peuvent-ils modifier les conditions du contrat ? Ne le font-ils pas tous les jours ? L’impôt, les monopoles, sont autant de sacrifices à la chose publique. Que dire de l’expropriation, imposée sans ménagement et subie sans murmure ? Celle d’un territoire n’est-elle pas aussi légitime que celle d’une maison pour percer une rue, d’un champ pour tracer un chemin de fer ? C’est une autre face des opinions de M. Mill ; l’état devient envahisseur parce que les citoyens le lui permettent, et, en dépit d’un passé mille fois condamné, il trouve dans leur accord les fondemens d’un nouveau code.
Admettons, comme il est vrai, que l’abnégation des citoyens dépasse la mesure des intérêts privés, que les avantages qu’on reçoit en échange des sacrifices ne sont pas toujours palpables ; par bonheur, il ne s’établit pas seulement un compte d’intérêts entre les citoyens et la chose publique : le sentiment s’en mêle ; on donne plus qu’on ne reçoit. Ceux qui défendent leur pays au risque de leur vie savent bien que tous ne verront pas la paix. C’est qu’il ne s’agit pas d’une entreprise commerciale, et que des actionnaires ne se sont jamais fait tuer pour le succès d’une opération. Si le patriotisme va plus loin que le droit strict, est-ce à dire que le citoyen abdique son droit ? Nullement, et, s’il devait l’aliéner pour jamais, il n’aurait garde de se dévouer. Dans une société menacée de guerre, le sacrifice de la vie peut être exigé à chaque instant, il n’est pourtant pas plus nécessaire que le danger ne l’est, et le danger peut disparaître. A aucun moment, la société n’acquiert un droit absolu sur la vie des citoyens. Ils doivent répondre à son appel, sous peine de laisser périr la communauté dont ils vivent. De leur consentement, manifesté dans les assemblées, naissent en effet des pouvoirs et des droits qui sont réunis dans la main du gouvernement ; mais cette puissance est limitée par leur consentement même, et, dût leur volonté céder à l’empire des circonstances, le nombre des concessions ne donnerait jamais le droit absolu de les exiger.
Il est vrai que la pluralité des voix ne fait pas toujours le bon sens, et que les citoyens, par ignorance où par intérêt mal entendu, peuvent donner leur consentement aux plus détestables mesures.