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gouvernement autre chose qu’un vain droit, il faut couvrir de fonctionnaires le territoire tout entier.

Ainsi l’état, sous peine de voir dépérir la rente entre ses mains, doit pousser jusqu’aux dernières conséquences l’exercice de cet étrange monopole ; il renonce au bail librement contracté, parce qu’il ne peut en subir les charges et en accepter les formes variées ; il supprime les derniers vestiges de l’appropriation, parce qu’il règle arbitrairement les profits et apprécie lui-même la rente. Peu à peu, devant le retrait des capitaux et le découragement des travailleurs, il remplace l’initiative privée par l’action directe de ses agens ; seul dispensateur de la prospérité nationale, il confisque les terres incultes pour les mettre en valeur, passe la charrue sur les parcs longtemps respectés, et étouffe leur stérile beauté sous une fécondité sans attrait.


III

Les apôtres de l’Internationale ne tiennent pas un autre langage ; comme M. Mill, ils veulent remplacer l’action de l’individu par celle de l’état ; ils font de la terre le patrimoine de toute la nation, et enchaînent les particuliers à la communauté par les liens d’une étroite dépendance. M. Mill, qui combat avec les socialistes l’appropriation du sol, refusera-t-il de les suivre dans l’atelier ou dans l’usine ? Pourquoi ce scrupule ou cette contradiction ? Si l’état se réserve les avantages de la nature, pourquoi épargner l’industrie ? Les agens naturels sont nombreux ; ils ne demeurent pas tous fixés au sol, ils circulent dans les fabriques pour seconder les efforts du travail et du capital. Le capital même, lancé dans l’entreprise, n’est pas toujours dû au mérite du capitaliste ; les talens de l’entrepreneur, les qualités de l’ouvrier leur appartiennent à peine, car ce sont aussi des agens naturels, partant des privilèges. Dès qu’on mesure la propriété privée sur le mérite de l’individu, et qu’on lui demande compte, au profit de l’état, de tout ce que la nature a fait pour lui, on arrive à réduire sa part selon le niveau commun, car l’effort même, qui est inégal chez chacun, est dû à des qualités morales inégalement réparties ; il faut réduire chaque homme aux qualités abstraites de l’espèce, et lui imposer le joug d’une égalité toute philosophique.

M. Mill ne repousse aucune de ces conséquences : déjà, dans ses Principes d’économie politique, en exposant les doctrines des socialistes les plus connus, il avait trahi ses préférences, et jeté le germe de sa réforme. Si l’on veut mesurer au juste les prétentions du parti radical, on ouvrira ce livre au chapitre de la propriété.