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sait représenter dignement à l’étranger, car elle a cet avantage sur le reste de la nation, que son regard peut dominer et franchir l’horizon commercial où les autres se renferment. C’est aux Anglais de se bien connaître et de voir si de pareils bienfaits ne valent pas, outre les sacrifices d’argent, l’ajournement même de l’égalité qui doit achever de les rendre libres. Il faut se garder d’omettre, par simple calcul d’intérêt, une utilité d’un ordre plus relevé dont on jouit depuis longtemps, et dont la perte est irréparable.

Mais M. Mill et ses partisans ne se contentent pas de l’égalité civile ; à leurs yeux, la rente est toujours le bénéfice d’un monopole, elle pèse d’autant plus sur la nation qu’elle augmente en raison directe de la population et de la richesse : pour un disciple de Malthus, c’est une image effrayante et qui obsède l’esprit. L’abolition des vieilles lois ne suffit donc pas ; il faut transformer le monopole naturel. S’il nuit aux intérêts des consommateurs, la nation tout entière en souffre ; elle doit donc confisquer un injuste excédant et retrouver sous forme de rente ce qu’elle perd dans la consommation : que l’état devienne propriétaire du monopole, qu’il en recueille les bénéfices, et toutes les plaintes cesseront comme par enchantement.

M. Mill remettrait volontiers à l’état la direction de toutes les industries : il a un goût décidé pour la centralisation ; c’est ainsi que certains esprits réagissent contre les abus dont ils sont frappés en adoptant le préjugé contraire. En France, le dernier des administrés connaît les défauts de la centralisation : on n’épargne guère les services publics ; les écrivains, qui ne sont point avares de critiques, plaident avec chaleur la cause des indépendances locales et de l’initiative de chacun. Selon l’opinion la plus modérée, attribuer à l’état l’exercice de tous les pouvoirs et le mérite de toutes les entreprises, c’est pencher vers le despotisme d’un maître ou vers la tyrannie de l’Internationale. En Angleterre, les capitaux privés ont tout entrepris et tout achevé ; il n’est pas un service public qui ne porte l’empreinte du zèle d’un particulier, et la plupart des services sont encore entre les mains des grandes compagnies : les chemins de fer, les eaux, le gaz, les ports, les docks, les canaux, tout est organisé par de vastes commandites, sans subvention et presque sans contrôle. L’avidité des capitalistes intéressés dans ces opérations, aux prises avec les exigences du public, devait faire naître quelques conflits et semer quelques désordres. On a pu craindre que ces petites républiques, devenues un jour trop puissantes, ne fissent un état dans l’état ; leurs administrateurs, entourés du prestige des grands fonctionnaires, mais plus indépendans, maîtres d’une influence dont la communauté tout entière aurait ressenti les effets, pouvaient être dangereux pour le gouvernement. Les Anglais