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la France convalescente met à contribution toutes ses ressources pour payer sa dette, c’est encore la propriété foncière qu’elle épargne ; les plus hardis, voulant atteindre le revenu de tous les capitaux, ne distinguent pas la rente territoriale des revenus du capital ou des profits de l’industrie. Pour tout autre qu’un savant, la possession d’une terre n’a qu’un avantage, celui de la sécurité. De grands établissemens comme le Crédit foncier, en simplifiant les formalités du prêt sur hypothèque, favorisent la circulation rapide des immeubles, et dans la pratique de la loi on voit disparaître chaque jour les anciennes entraves que rappelle ce nom. Beaucoup de légistes demandent la révision de nos lois hypothécaires, qui gênent les transactions par la lenteur des formalités. Supposons un héritier faisant l’inventaire d’une succession récemment échue ; presque toujours, il trouvera des titres de propriété mêlés à des valeurs mobilières ; souvent, maître d’une fortune modique, peu soucieux de joindre à l’aisance du rentier la dignité d’un propriétaire, il fera plus de cas d’un revenu net, clair et régulier, que d’un fermage douteux ; jamais on ne lui persuadera qu’en touchant son fermage il est privilégié, et qu’en détachant les coupons d’une obligation il reste dans le droit commun. Ce n’est pas qu’un Français soit dégoûté de la terre ; mais il la recherche pour d’autres motifs. Nous vivons dans un pays de petite propriété ; le morcellement de la terre en répartit les avantages entre un grand nombre de citoyens. La qualité de propriétaire et celle de fermier se confondent souvent dans la même personne ; le propriétaire cultive lui-même, et l’on distingue à peine, dans le bénéfice qu’il réalise sans bruit, le résultat de ses efforts, le loyer de son capital et le revenu d’un monopole. Entrepreneur lui-même, ne peut-il considérer cet avantage naturel comme une compensation des chances qu’il court ? La naissance et le progrès de ces petits établissemens sont entourés de mille difficultés ; l’achat de la terre, l’amortissement du capital, absorbent longtemps une grande part des profits, et le cultivateur qui crée son exploitation à force de labeur et de ténacité trouve un secours légitime dans la plus-value du sol. Ceux même qui abandonnent à un fermier les charges et les profits de l’exploitation ne forment pas en France une classe oisive et privilégiée : ils ont acheté la terre à beaux deniers comptans ; la part du monopole qu’ils exploitent représente le fruit de leurs économies, de leur travail. Grâce à l’abolition des vieux privilèges, ce monopole si dangereux passe de main en main, devient le prix du travail, est accessible aux petits capitaux, et leur offre l’appât d’un placement plus solide que lucratif. Le monopole n’est point détruit, il est vulgarisé, et l’attrait qu’il donne à la petite culture est pour la communauté une source de bienfaits politiques. On ne maudit plus la bande noire, et Courier n’aurait plus à la