pour les méconnaître. Vous garderez votre science, vos ruses pour celles qui les provoquent et qui ont de quoi mettre à ce jeu-là. On vous pardonnera d’avoir ce goût bizarre, vous, honnête homme, de perdre votre temps à contempler, à étudier, à mesurer la faiblesse de notre sexe, tout en excitant sa perversité. Tenez ! on vous pardonnera tout, même d’être incorrigible. On pensera que ce métier de punisseur des torts féminins est une tâche navrante, et que vous devez être un homme malheureux. On s’efforcera de vous soigner comme un malade, ou de vous distraire comme un convalescent ; si par moments vous êtes tenté de faire la guerre à vos amis, ils se diront : c’est une épreuve ; il veut savoir si nous méritons l’estime qu’il nous accorde. Alors on se tiendra de son mieux pour vous montrer qu’on y attache le plus grand prix. Et, si on ne réussit pas à mettre dans votre existence une affection pure et bienfaisante, on en aura beaucoup de chagrin, je vous en avertis, parce que l’amitié, qui n’est pas une chose convulsive, n’est pas non plus une chose froide. Donc vous aurez, sans vous donner aucune peine pour cela, un triomphe assuré chez nous, celui d’avoir touché, ému, réjoui ou attristé des âmes qui ne sont pas banales, et qui ne se donnent pas à tout le monde.
Tenez, madame de Trémont, je vous aime tant, telle que vous êtes, que je me regarderais comme un sot et comme un lâche si j’avais prémédité d’entamer cette noble et touchante sérénité. Vous avez fort bien compris que je valais mieux que cela, que d’ailleurs je n’eusse jamais osé menacer sérieusement une personne telle que vous ; mais je cesse de rire, et vous rends les armes. On me l’avait bien dit : vous êtes la plus sincère, la plus tendre et la plus forte des femmes, et il y a longtemps que je sais une chose, c’est que la bonté est l’arme la plus solide de votre sexe. Toute vertu sans modestie est provocation, comme toute résistance sans conviction est grimace. Je suis heureux et fier de vous répéter que je vous comprends, que je vous respecte… Et, puisque vous m’acceptez pour frère, voulez-vous consacrer ce lien qui m’honore ?
Comment ?
Vous avez parlé tout à l’heure de m’embrasser sur les deux joues…
C’était une métaphore !
Pourquoi ne serait-ce pas la formule qui scelle un pacte d’honneur ?