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il n’existe même pas une traduction française qui soit exacte et lisible[1]. Mieux préparés par une éducation toute spéciale, d’autres pourront discuter plus à fond et apprécier avec plus de compétence la valeur d’Isée comme interprète des lois athéniennes. Nous avons voulu tout au moins frayer la voie, appeler l’attention sur cette curieuse figure et sur ces œuvres trop longtemps négligées. Les essais qui précèdent n’avaient d’autre but que d’aider à mieux comprendre et à mieux juger l’homme extraordinaire dont le génie domine et résume toute l’histoire de l’éloquence athénienne, Démosthène ; or pouvions-nous songer à nous occuper de Démosthène sans avoir d’abord remis dans son vrai jour et à sa vraie place le guide qu’il s’est choisi lui-même dans Les premières années de sa triste et laborieuse jeunesse, le seul de tous les orateurs attiques qui ait eu sur lui une influence directe et personnelle ? En étudiant Démosthène, nous retrouverons plus d’une fois dans ses chefs-d’œuvre la trace des exemples et des leçons d’Isée. Dès maintenant, avant même d’avoir sous les yeux les passages qui confirment l’assertion des anciens biographes, on peut se faire quelque idée des services que l’homme de talent a rendus à l’homme de génie. Si c’est la lecture assidue de Thucydide qui a donné à Démosthène une connaissance de l’histoire d’Athènes qui manque trop souvent aux autres orateurs, c’est Isée qui lui en a fait étudier les lois civiles et politiques ; grâce à cette double et forte instruction, au lieu de faire, comme l’ignorant et brillant Eschine, commerce de phrases vagues et sonores, il a pu nourrir toujours son éloquence de faits et de textes. Isée ne s’est pas contenté de fournir ainsi à son élève ce que l’on peut appeler la matière de ses discours ; il lui a enseigné à disposer ses argumens et ses preuves de manière à convaincre sans avoir l’air d’y prétendre, il lui a livré le secret de ces interrogations vives et redoublées qui paraissent échapper à l’âme de l’orateur passionnée pour la vérité et révoltée d’avoir à combattre la fraude et le mensonge. Savant légiste, rhéteur consommé, habile et véhément avocat, Isée est bien le maître du grand orateur qui a porté le plus haut, dans l’antiquité, l’art et la puissance de la parole publique.


GEORGE PERROT.

  1. La seule que je connaisse, celle de l’abbé Auger, qui date du siècle dernier, est criblée de contre-sens. Le traducteur, qui n’a étudié ni les institutions de Rome ni celles d’Athènes, ne comprend pas les affaires que discute l’orateur et rend presque toujours à faux les termes de droit qu’il a sans cesse l’occasion d’employer.