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mœurs, entre la dure logique des institutions d’autrefois et les nouveaux besoins de la conscience. Partout des inconséquences et des demi-mesures qui portent la marque de cet état de transition, de cette lutte intérieure. L’esprit humain a rompu le câble qui l’attachait au rivage ; emporté par le courant, il dérive, non sans essayer souvent de se rejeter en arrière, vers des régions inconnues.

Si maintenant vous comparez, par ce côté du droit successoral, la loi attique à la loi romaine, vous serez frappé des ressemblances : elles tiennent au fonds commun d’où sont sorties à la fois Rome et Athènes. Quant aux différences, voici comment on peut les indiquer et les résumer en un seul mot : la volonté de l’homme n’a point chez les Athéniens la même puissance, la même force souveraine et créatrice que chez les Romains. Ainsi, malgré le fréquent usage qu’elle y fait de l’adoption, elle n’arrive point à produire par là, comme à Rome, une parenté légitime qui se confonde avec la parenté naturelle, qui ait même valeur et même durée. La volonté du testateur est enchaînée par la loi, qui attribue impérieusement l’héritage aux fils et le divise entre eux par portions égales ; elle ne se meut donc pas dans le cercle de la famille, elle n’y distribue pas les rôles et n’en règle pas l’avenir avec la même indépendance et la même dignité. Alors même que l’absence de tout héritier à réserve semble lui rendre toute sa liberté d’allures, elle est exposée à se voir méconnue et annulée le lendemain du jour où s’ouvrira la succession : les tribunaux cassent les testamens avec une singulière facilité. Le père de famille n’était pas à Athènes tout ce qu’il était à Rome ; il n’avait pas, dans sa sphère et son domaine, la même plénitude d’autorité et de responsabilité. Ce fut là certainement une des causes qui firent la société grecque moins solide et moins durable que cette puissante et presque indestructible société romaine.


II

Les lois d’Athènes et l’esprit dans lequel les appliquaient les tribunaux, tout concourait à multiplier les procès en matière d’hérédité. Tous les héritiers testamentaires et les héritiers légitimes autres que les fils du sang avaient à demander la saisine judiciaire ; il fallait aussi s’adresser à la justice pour se faire adjuger l’épiclère ou la fille avec laquelle se transmettait l’héritage ; enfin le sans-façon avec lequel le jury traitait les testamens encourageait tous les coureurs de succession à affronter les chances d’un procès. Sans doute on risquait, si l’on perdait, de laisser entre les mains du fisc une somme proportionnelle à l’importance de la succession en litige, que l’on avait dû déposer en introduisant sa requête ; mais que