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disposer de ses biens. On connaît le fameux texte de la loi des Douze-Tables : « Ce que le citoyen aura ordonné par testament sur ses biens ou sur la tutelle des siens, que cela fasse loi. » Uti legassit super pecunia tutelave suæ rei, jus esto. Il ne reste point de trace de restrictions et de limites dont le législateur aurait entouré cette faculté. Solon avait au contraire consacré d’une manière formelle le droit du fils à hériter des biens patrimoniaux ; ce droit, il l’avait mis à l’abri de tout caprice. Isée a sans cesse l’occasion de s’appuyer sur cette loi, qui devait être conçue à peu près en ces termes : « Si l’on n’a pas d’enfans légitimes et mâles, on peut léguer ses biens à qui l’on veut. » La loi allait plus loin, elle partageait les biens par portions égales entre les enfans : il semble qu’elle n’autorisât le père de famille ni à soustraire à la masse, pour un étranger, la moindre part des biens, ni à avantager aucun des fils. Elle se substituait plus complètement encore à la volonté du père que la loi française, qui permet de prélever sur la succession une part d’enfant. Cette volonté, elle l’annulait et la remplaçait. C’était elle, dans toute la force du terme, qui disposait des biens, comme Isée nous le dit avec beaucoup de netteté dans un passage du discours contre Philoctémon : « Quand on a des fils naturels et légitimes, on ne donne point, par testament, à l’un d’entre eux telle ou telle chose particulière, parce que c’est la loi elle-même qui remet au fils la fortune du père, et qu’elle ne permet même pas à ceux qui ont des enfans naturels et légitimes de prendre des dispositions testamentaires. » Pas plus que le père, l’aïeul ne pouvait exhéréder ses descendans au profit d’un tiers.

Mais les filles, que devenaient-elles ? C’est aux fils seulement que la loi semble assurer la succession paternelle. En effet, quand il y avait des fils, la fille n’était pas admise à concourir au partage ; toutefois, à défaut de la tendresse naturelle, l’usage et l’opinion obligeaient le père ou le frère, celui qui se trouvait le protecteur de la jeune fille au moment où elle atteignait l’âge nubile, à l’établir et à la doter. Au besoin, le magistrat serait intervenu pour le décider à remplir ce devoir. Si la fille était seule dans la maison paternelle, le père, nous assure Isée, n’avait pas le droit de la déshériter ; s’il mourait la laissant en bas âge, il pouvait par son testament lui choisir un mari qui s’engagerait à charger un de ses fils de perpétuer la famille. L’héritage se transmettait non à la fille, mais avec la fille. Jusqu’à ce que cette union devînt féconde, l’héritage n’avait, pour ainsi dire, pas de propriétaire ; il n’appartenait point à la femme, qui, tenue dans un perpétuel état d’incapacité légale, n’avait pas qualité pour posséder ; il appartenait encore moins à l’époux, qui faisait partie d’une autre famille et célébrait un autre culte domestique. L’époux n’était qu’un administrateur provisoire, un