symbole matériel dans le temps et dans l’espace, sur le domaine héréditaire et la maison patrimoniale. Là l’enfant joue sur les genoux de l’aïeul ; là par la triple vertu du sang, de l’éducation et de l’exemple, l’esprit du père passe dans ses enfans ; là chaque place qui devient vide autour du foyer toujours allumé est aussitôt remplie, et tout se renouvelle ainsi sans que rien paraisse sensiblement changer, sans que la continuité s’interrompe jamais. Pour un Athénien, c’était un malheur et une honte que de vouer à la solitude et à l’abandon ou de faire passer entre les mains d’un indifférent étranger la demeure que l’on avait reçue de ses ancêtres animée et vivante, et où s’étaient succédé tant de générations unies par le lien étroit d’une filiation directe. Ce qui rendait cette douleur plus poignante encore, c’était la pensée religieuse : avec ces vieilles croyances dont le plus incrédule philosophe sentait encore quelque chose au fond de son âme, avec les idées que l’on se faisait de la condition des morts dans le tombeau et du plaisir qu’ils prenaient aux hommages et aux sacrifices de leurs proches, rien n’était plus désolant pour un Athénien que l’idée de voir interrompu par sa faute ce culte domestique. Écoutez plutôt Isée : « Tous ceux qui voient arriver la mort, dit-il, se préoccupent de ce qui viendra après eux, de la pensée de ne point laisser leur maison déserte, d’avoir au contraire quelqu’un qui apporte à leurs mânes les offrandes funéraires et qui leur rende tous les honneurs consacrés par l’usage ; si donc on est exposé à mourir sans enfans, on s’en crée et on en laisse derrière soi au moyen de l’adoption. Et ce n’est point là une préoccupation que les particuliers soient seuls à ressentir ; l’état lui-même en est touché, et le témoigne publiquement, car la loi confie à l’archonte le soin de veiller à ce que les maisons des citoyens ne deviennent jamais désertes[1]. » Dans cette religieuse Athènes, qui avait une de ses fêtes les plus antiques et les plus solennelles consacrée au souvenir et à l’adoration des ancêtres, mourir ainsi en ne laissant personne après soi pour s’acquitter d’un devoir transmis par vos pères, mourir avec la certitude d’être privé de ces suprêmes hommages, qui ne manquaient pas au plus pauvre et au plus humble, c’était mourir deux fois.
Ce qui effrayait tant chaque particulier, le législateur le redoutait comme une calamité publique. C’était une chose fâcheuse pour la cité qu’un de ces autels où s’offraient chaque année, depuis des siècles, des sacrifices héréditaires se vit soudainement négligé et fût abandonné sans retour. Tous ces héros légendaires, ces glorieux ancêtres veillaient maintenant sur leurs descendans, et, en retour des hommages qu’ils en recevaient, protégeaient encore cette
- ↑ De l’héritage d’Apollodore, 30.