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santé, richesses et jusqu’à ces trésors de style que les générations antérieures nous avaient légués comme un dépôt national.

Nos musiciens comprendront-ils que c’est assez chanté, « le sabre de mon père ! » jugeront-ils le moment venu, non pas seulement de rompre avec de pareils erremens, mais de refaire notre école, de sortir de cette confusion des langues pour rentrer virilement dans le vrai ? C’est à ces heures de crise qu’il convient d’évoquer certains modèles et de les étudier. Nous aussi, nous avons eu des maîtres qui n’étaient point simplement des gens sachant gouverner un orchestre et des voix, et qui faisaient profession d’être des hommes. Un Méhul en ce sens vaut un Mendelssohn. Laissons de côté les théories, finissons-en avec les écoles buissonnières, rentrons chez nous, et parlons-y notre langue sans travestir les mots ni les tournures. Harmonie de la composition, sens de la vérité dramatique, symétrie organique, fraîcheur, simplicité d’inspiration, voilà ce que d’emblée notre propre fonds nous fournira. Plus tard naîtront peut-être les génies ; en attendant, encourageons tout honnête effort, soyons indulgens pour tout ce qui n’insulte pas la dignité de l’art ; contentons-nous d’un beau musical ordinaire sans prétendre exiger à chaque instant des phénomènes, et disons-nous qu’à n’enfanter que des Shakspeare, des Michel-Ange, des Beethoven, la nature finirait par éclater. Nous défaire de ce germanisme encombrant, sentir, penser, écrire en français, imprégner notre style de la physionomie nationale du pays auquel nous appartenons par la naissance et l’éducation, tâche déjà louable, et qui sera complètement remplie, si l’artiste en arrive à considérer comme œuvre de conscience et presque comme un devoir religieux le développement du talent que Dieu lui a donné. « Nous avons l’imperturbable pensée que nous ne sommes pas au bout de notre art, que parmi nous s’élèvent des talens qui justifieront nos espérances. » Ces paroles sont de Schumann, et ce qu’il disait pour l’Allemagne de son temps, nous croyons pouvoir aujourd’hui l’appliquer à la France. Nous aussi, nous avons foi dans une floraison prochaine à laquelle d’autres encore plus consolantes succéderont, et c’est par cette foi qui survit, par cette espérance qui se ranime, que le cœur et l’esprit se sentent reprendre à la discussion. Nous le répétons une dernière fois : que l’idée de la France soit dans tout ce que nous faisons.


F. DE LAGENEVAIS.