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l’enrichissait la veille, jouera les mêmes motifs en se contentant de les chiffrer en mineur ; encore, ce sacrifice aux deuils de la patrie, il compte qu’il ne le fera qu’autant que le public, par la dignité de son attitude, lui montrera qu’il ne se soucie point d’être si vite consolé. Prenons bien garde de ne pas confondre l’exploitation d’un sentiment avec ce sentiment même. Les faiseurs de romances, au lieu de gémir sur le coup de vent qui plonge l’univers dans les ténèbres en éteignant leur lampe, gémiront sur nos infortunes : on verra, comme à Babylone, nombre de harpes et de guitares se suspendre aux saules ; mais de telles simagrées n’abuseront personne, et ce n’est point de ces banales procédures que sortira désormais rien de conforme à l’état moral des esprits.

L’Italie, du temps de Stendhal, et telle que la Chartreuse de Parme nous la montre, « doux pays où fleurit l’oranger et que baigne le golfe de Naples, » l’Italie heureuse, facile à vivre, toute à ses plaisirs, à ses allégresses, eut dans Rossini son merveilleux représentant. Que de flamme spontanée, insconsciente, dans ce premier répertoire du grand. maître ! La vie musicale déborde, se précipite par étincelles, par fusées, — fantastique feu d’artifice de l’imagination, qui jette souvent des torrens de lumière sur bien des points que la lampe des savans de profession n’éclairait pas. A la politique, qui donc y songe ? Nul souci de ce qui n’est pas l’heure présente. Felice momento, c’est ce qu’ils chantent tous, depuis la reine de Babylone jusqu’à l’humble servante de village. Même dans sa musique religieuse cette note joyeuse trahira plus tard sa présence ; son Stabat, sa Messe, n’ont rien d’ascétique. Vous y sentez cette bonne humeur, ce doux mélange de dignité et de gaîté qui caractérise la vie seigneuriale des cardinaux romains au milieu de leurs jardins pleins de marbres et d’eaux jaillissantes, de leurs palais pleins de trésors. Somptueux prélats et bons hommes en même temps, si intelligemment profilés naguère par un peintre de grand talent qui vient de mourir : M. Zamacoïs ! Plus tard, lorsque la vie physique eut assez mené sa fête, quand le sentiment de la servitude commença de s’éveiller dans les âmes, parut Bellini, dont la mélancolique et douce plainte suffit quelque temps aux aspirations encore vagues d’un peuple jusque-là résigné, et qui finalement rencontra Verdi pour lui sonner le boute-selle au jour venu des revendications.

Espérons qu’il en sera ainsi pour nous. La France ne serait plus la France, s’il pouvait être permis de croire que l’art auquel nous assistons soit autre chose qu’une sorte de reliquat du passé que les théâtres utilisent tant bien que mal au jour le jour pour tenir le public en haleine. À ce compte, ne regrettons point l’attitude plus que discrète qu’affecte l’Opéra ; les ouvrages nouveaux qu’il nous