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Sa conversion trouva une foule d’imitateurs. Enfin les Mongols subirent en Chine l’influence du bouddhisme, que Djinghis n’aurait jamais accepté[1]. L’éclectisme monothéiste de Djinghis, de Mangou, de Khoubilaï, disparut avec la division de l’empire, quoiqu’on en retrouve plus tard des traces chez quelques grands-mogols de l’Inde, comme Akbar et son fils. Fidèle à cet éclectisme, Khoubilaï avait pourtant contribué à fortifier un pouvoir dont ses successeurs devaient éprouver la force. Après la conquête du Thibet, il confia (1260 ou 1261) à, Mati-Dhvâdscha (l’étendard de la sagesse), qu’il avait connu en Mongolie, la direction suprême des affaires thibétaines. Le grand-lama de Sa-Kya, le « roi de la grande et précieuse doctrine, » revêtu des pouvoirs temporels en qualité de « vice-roi, » peut être regardé comme le type du talé-lama[2]. L’infériorité du pouvoir temporel, comparé à la lune, finit par être proclamée au « pays de la neige » lorsque la fameuse métaphore des « deux luminaires » fut acceptée par les indignes successeurs de Khoubilaï.

Quand les Mongols eurent été chassés de la Chine, ils reprirent dans la « terre des herbes » leurs goûts indépendans, et se délivrèrent du bouddhisme et des moines. Mais au XVIe siècle, siècle des grandes révolutions religieuses, les prédicateurs bouddhistes regagnèrent le terrain perdu. L’église lamaïque était déjà constituée, et la mitre rouge du fier lama de Sa-Kya avait dû s’abaisser devant la mitre jaune, symbole de la réformation. Le pontife suprême du lamaïsme, Sod-Nams-Dschamtso, vint lui-même en Mongolie (1578), où il apparut, dit la légende, avec quatre bras, et d’où il chassa les esprits, vieilles divinités nationales, obligées de céder à la puissance surnaturelle d’une incarnation du glorieux bôdhisattva[3] Avalokitêçvara. Avec l’autorisation d’Altan khan, qui, averti par une vision, l’avait appelé afin qu’il le délivrât de la goutte, l’habile talé-lama institua en Mongolie un patriarche, incarnation du bôdhisattva Mândschouçri, qui s’établit à Koukou-Khotoun, où vivent encore, malgré la décadence de la « ville bleue, » environ 10,000 lamas (moines). Il s’était emparé d’autant plus aisément de l’esprit d’Altan qu’il lui révéla que le grand Khoubilaï revivait en sa personne, tandis qu’il avait été lui-même Mati-Dhvâscha. Ainsi les chefs du lamaïsme, après s’être servis des empereurs de la Chine pour conquérir le pouvoir temporel, trouvaient, pour se défendre contre eux, de puissans auxiliaires dans les chefs

  1. W. Schott, Ueber den Buddhaismus in Hochasien, p. 33.
  2. Talé ou dalaï, mot mongol, signifie océan ou mer, et lama, mot thibétain, prêtre ou religieux.
  3. Le bôdhisattva possède l’intelligence de la bôdhi, ou l’intelligence d’un Bouddha ; il doit devenir un Bouddha à son tour.