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par les relations des Plan de Carpin et des Rubruk, ne pouvaient les soupçonner. Un voyageur qui aurait visité la France envahie après la défaite du roi Jean n’y aurait guère reconnu le royaume de Philippe-Auguste, de Blanche de Castille et de Louis IX, « le plus beau, disait-on, après le royaume du ciel. » — « Étant retourné à Paris, dit Pétrarque, je n’ai plus rien reconnu de cet opulent royaume de France. Toutes les maisons qui ne sont pas protégées par des enceintes de murailles sont renversées. Maintenant où est Paris ? Il était à la vérité au-dessous de sa réputation ;… mais pourtant c’était une grande chose… Le voyageur, inquiet pour sa sûreté, chemine en silence. Les remparts frémissent, les forêts se taisent, à peine est-on en sûreté dans les villes… Les Bretons, que l’on nomme Angles ou Anglais,… ont tellement écrasé le royaume tout entier par le fer et par le feu, que moi, qui récemment le traversais pour affaires, je pouvais à peine me persuader que c’était là le royaume que j’avais vu autrefois ; tant régnaient partout une solitude malheureuse, la tristesse, la désolation, tant les campagnes étaient affreuses et incultes, les maisons désertes ou détruites[1] !… » Or les Anglais étaient des messagers de civilisation comparés aux hordes de Bâtou.

Les envoyés du pape et du roi de France parcourant la Russie, foulée aux pieds par les barbares, n’y voient naturellement que ruine, anarchie et confusion. Certains usages nationaux pouvaient les porter à croire qu’il en avait toujours été ainsi. En effet, Rubruk parle avec quelque étonnement de la monnaie qui a cours parmi les Russes, monnaie « faite de petites pièces de cuir, marquetées de couleur. » Il est vrai qu’à une époque où les métaux précieux étaient rares, on employait des fourrures et plus tard des morceaux de peaux de martre et d’écureuil, dont un certain nombre portait le nom de grivna ; mais il ne faut pas en conclure que les riches marchands de Novgorod manquèrent longtemps d’or et d’argent. La vieille monnaie continua d’être en usage, surtout à la campagne, même alors que les guerriers embellissaient leurs armes de pierreries, qu’on se servait de métaux précieux pour orner les vêtemens et les meubles, que les princes se coiffaient du « casque d’or, » qu’ils paraient leur cou du « collier d’or, » qu’ils s’asseyaient sur un « trône d’or, » qu’ils montraient aux ambassadeurs étrangers « une infinité de richesses et de trésors, » que les artistes grecs construisaient pour le culte des temples conformes aux habitudes somptueuses du rite oriental. Par l’incendie de Vladimir (1185) furent ruinées deux cent trente églises et la cathédrale de Notre-Dame à la coupole dorée. Les flammes anéantirent les lustres

  1. Lettre à Pierre de Poitiers, trad. par M. Mézières.