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en couleur qu’elles habitent au sein d’une lumière plus tempérée. D’après le témoignage déjà un peu ancien de Jurine, l’historien des poissons du lac Léman, les lotes pêchées à une grande profondeur seraient beaucoup plus pâles que celles qui vivent sur les pentes du rivage : le fait serait facile à vérifier, mais il semble au premier abord assez peu probable. Nous savons maintenant que les plus éblouissans coraux pendent sous les corniches naturelles des roches et au flanc des grottes sous-marines ; certaines espèces de poissons, comme la scorpène ou crapaud de mer, qu’on trouve tantôt au bord de l’eau et tantôt dans les fonds hantés par la drague, sont ramenés du fond teints d’un beau rouge de pourpre, tandis que la couleur des scorpènes qui vivent à la côte est d’un jaune brunâtre insignifiant.

Les physiciens inclinent à croire que la lumière, qui n’a déjà plus ses propriétés entières après avoir traversé une couche peu épaisse d’eau, les perd totalement en s’enfonçant dans une masse comme celle de l’océan, de sorte qu’à une certaine profondeur aucun rayon ne saurait pénétrer : ce serait la nuit, l’obscurité absolue. L’étude des animaux nombreux qui vivent sur les plateaux océaniques, regardés jadis comme inhabités, ne confirme point ces vues ; ils ne sont point blêmes comme ceux qui demeurent dans la terre. On peut donc affirmer que cette obscurité du fond transparent de la mer n’est pas assimilable à celle des crevasses du sol et n’a pas la même action sur la vie. On dirait que certaines influences de la lumière, arrêtées par un faible obstacle opaque tel que l’épaisseur du corps, peuvent se propager à travers d’immenses couches d’eau salée jusqu’au fond de l’abîme sans avoir rien perdu de leurs propriétés pour colorer la substance vivante, tandis que d’autres rayons lumineux d’une action en quelque sorte contraire, ceux qui ternissent les couleurs peintes, sont interceptés par le moindre obstacle. Les éleveurs de poissons rouges savent très bien que, pour avoir de beaux individus dorés, il faut les mettre dans un bassin ombragé, où les plantes aquatiques leur fassent un rideau contre l’ardeur solaire. Quand on les exposé au plein soleil de juillet, il mange leur couleur.


II.

Que si l’on essaie d’examiner d’un peu plus près les causes auxquelles sont dues les colorations animales, on découvre qu’elles sont des plus variées. Toutes les ressources de l’optique pour avoir les couleurs du spectre, aussi bien que toutes les combinaisons de la teinture la plus habile, sont mises en œuvre, appliquées