Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/827

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contentèrent de répondre qu’il fallait attendre le retour de Daniel. En effet la position du prince de Galitch pouvait devenir assez considérable dans la Russie méridionale, si les Mongols consentaient à le reconnaître comme vassal, pour qu’il ne fût pas aisé de prendre sans lui un parti sur une affaire d’une aussi grande importance. Ces hésitations firent comprendre à l’habile diplomate de Rome que l’essentiel était de convertir le kha-khan, qui semblait être dans l’Europe orientale, comme dans la plus grande partie de l’Asie, l’arbitre suprême de la question religieuse. Vassilko le fit donc conduire à Kiev, voyage qui n’était pas sans péril, à cause des razzias que faisaient les farouches Lithuaniens. Quant aux « Ruthènes ou Russiens » (habitans de la Petite-Russie, qu’on distingue de la population de la Grande-Russie et de la Russie-Blanche), l’envoyé de Vassilko suffisait pour faire respecter les moines catholiques.

Préoccupé avant tout de la conversion des Mongols, Jean ne nous fournit point de détails sur son séjour à Kiev et sur les « Ruthènes. » On doit d’autant plus le regretter qu’il peint les Mongols en observateur à la fois impartial et sagace. S’il est, comme tous les hommes de son temps, porté à croire aux récits merveilleux sur les cynocéphales et aux autres « monstres en forme humaine, » il donne des idées fort claires sur les gens qu’il a pu étudier lui-même. Rubruk est plus disposé à parler des « Russes. » Malheureusement il n’a point l’esprit politique du franciscain italien. Quoique fort incomplets, les récits de ces vieux voyageurs n’en sont pas moins précieux, parce qu’ils contiennent les premières impressions des Occidentaux sur la Russie, et parce qu’ils suppléent au peu de renseignemens que les sources nationales fournissent sur cette époque.

Quand Rubruk parle des Russes, il semble plus occupé de leur costume que de leurs opinions. Sans entrer dans tous les détails que devait donner plus tard à ses compatriotes le capitaine français Margeret, l’envoyé de Louis IX ne croit pas inutile de nous apprendre que « les femmes russes ornent leurs têtes ainsi que les nôtres et bordent leurs robes depuis le bas jusqu’aux genoux de bandes de noir et de grisets, » tandis que leurs époux portent des manteaux comme les Allemands et se coiffent de bonnets de feutre pointus et fort hauts. La forme de la coiffure était le seul rapport qui existât alors entre les chrétiennes de la Russie et les Françaises. Les Rurikovitchs avaient trouvé chez les Slaves des dispositions si peu favorables au sexe féminin, qu’ils avaient dû avec le temps renoncer à bien des traditions Scandinaves. La fière et dédaigneuse Rognéda, fille du Varègue Rogvold, qui régnait à Polotsk et à Tourov, doit consentir à « déchausser » son époux ; mais l’instinct de la race reparaît lorsque son père lui demande si elle veut de Vladimir (saint Vladimir, qui ne régnait pas encore). « Non, dit-elle, car je ne veux