Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/822

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’avaient produit. On regarde généralement le système des apanages pratiqué par saint Vladimir comme la principale de ces causes. Un examen attentif fait naître plus d’un doute sur une théorie acceptée si légèrement qu’on ne semble pas s’être aperçu que l’organisation des vainqueurs était fédérale comme celle des Russes. Le Charlemagne de la Russie, en partageant ses états entre ses nombreux enfans et en admettant même son neveu Sviatopolk à ce partage, loin d’ébranler son empire, ne fit que multiplier les centres de résistance.

Déjà Sviatoslav (945-972) avait dû de son vivant recourir au système fédéral. Il avait donné son second fils Oleg pour prince aux farouches Drevliens, qui, dit Nestor, « vivaient d’une manière bestiale, comme des animaux sauvages, s’égorgeaient entre eux, se nourrissaient de choses impures, ne voulaient point de mariage, ravissaient les filles. » Il dut envoyer à Novgorod Vladimir, qu’il avait eu de Maloucha, femme de la suite de sainte Olga, les Novgorodiens lui ayant déclaré que, s’il refusait de leur accorder un Rurikovitch, ils éliraient un prince d’une autre famille. Dans le partage fait par Vladimir de son vivant, les mêmes nécessités politiques subsistaient peut-être, car nous voyons Novgorod donné à son fils Iaroslav et le pays des Drevliens confié à Sviatoslav, mais l’état restait si bien fédéral que Iaroslav devait payer un tribut de 3,000 griva. Le sage Iaroslav Ier (1019-1054), qui allia le sang des Rurikovitchs au sang des Capétiens français[1], et dont le code (Rouskaia pravada ou Vérité russe) atteste les lumières et la prudence, « partage de même les villes entre ses fils » avant de mourir. Les princes parurent comprendre plus d’une fois la nécessité de maintenir les liens d’une étroite fédération : de là ces congrès dans lesquels on s’efforçait de s’entendre sur les affaires communes, et qui étaient de véritables diètes fédérales. Nestor fait mention du congrès de Lubetch tenu en 1097 sous le règne de Sviatopolk II, au bord du Dnieper. Les princes assis sur le même tapis se promirent d’oublier les dissensions et les haines pour résister aux Koumans qui ravageaient la Russie. Ils baisèrent la « sainte croix » et dirent : « Si l’un de nous n’observe pas la convention, et qu’il attaque un des princes ses frères, que cette sainte croix, nous tous, la Russie entière, s’élèvent contre lui ! » La longue lutte contre les Mongols contribua sans doute à subordonner l’individualisme le plus légitime au désir de centraliser toutes les forces dans la même main. Toutefois les Rurikovitchs de Moscou ont été, comme les Capétiens de Paris,

  1. Anne, sa fille, épousa Henri Ier, le troisième roi de la dynastie fondée par Hugues Capet.