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forment le commentaire naturel du précieux écrit de Carpin. Enfin Marco Polo[1], qui a vécu à la cour du kha-khan Khoubilaï, doit toujours être consulté quand il s’agit de l’Asie du XIIIe siècle.

Jean du Plan de Carpin et ses compagnons partirent non d’Italie, comme le dit un célèbre historien russe, d’origine tartare (Karamsine), mais de Lyon, le 16 avril 1245. Jean portait ces lettres de créance qui devaient exciter tant d’étonnement à la cour du kha-khan ; le souverain redouté qui faisait trembler le monde asiatique et l’Europe orientale ne comprenait pas comment le chef d’un imperceptible état perdu dans l’Occident pouvait parler un langage aussi impérieux à celui qui se considérait comme le « plus grand des hommes. » L’ambassadeur pontifical, après avoir traversé l’Allemagne, entra dans les pays slaves par la Bohême. Les Slaves de l’ouest n’avaient pas été épargnés par le fléau dont l’approche inquiétait les souverains occidentaux ; Lekhes (Polonais) et Tchèques avaient eu également à souffrir de la première invasion mongole. Le royaume de Bohême, gouverné par des rois héréditaires, semblait alors avoir une existence solide. L’opposition à la papauté, personnifiée plus tard avec tant d’éclat par Jean Huss et Jérôme de Prague, n’ayant pas encore manifesté sa puissance dans ces contrées, le légat du pape y fut fort bien reçu. Le roi Venceslas Ier dont le général Iàroslav de Sternberg avait écrasé les Mongols à Olmutz en Moravie, lui conseilla de prendre la route de Pologne et de Russie, et il le défraya jusque dans les états de Boleslas, duc de Lignitz. Jean du Plan de Carpin, qui fut reçu par Boleslas avec vénération, put déjà en Silésie se faire une idée du fléau que les papes prétendaient enchaîner. Il trouvait à Breslau Jean de Pologne, qui devait lui servir d’interprète. Boleslas fit conduire les moines à ses frais jusqu’en Pologne, à Cracovie, chez Conrad, duc de Lenczy. Dans cette ville, le légat rencontra un Rurikovitch, Vassilko, prince de Vladimir en Volhynie, par lequel il apprit la situation de la Russie.

Cette situation n’avait jamais été aussi déplorable depuis l’établissement de la dynastie normande dans ce vaste pays. Les longues luttes contre les populations finno-mongoles avaient abouti à un épouvantable désastre, et l’invasion d’Attila elle-même n’avait pas causé à la civilisation chrétienne des maux qui parussent aussi

  1. Un compatriote de Polo, Ramusio, avait compris dès le XVIe sièle l’intérêt des documens qui se rapportent aux Mongols. Aussi le deuxième volume de ses Navigazioni e Viaggi, publié après sa mort par Giunti (1559), est-il intitulé Secondo volume delle Navigazioni e Viaggi, nelquale si contengono Vistoria delle cose de’ Tartari… — Les éditions de 1574 et de 1583 sont-fort augmentées.