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un vaste état qui a duré en Europe jusqu’au XIIe siècle, et dont un débris subsistait encore en Asie vers 1140, sur les bords de la mer Caspienne. Croisés de Turcs et d’Ougriens comme les Bulgares, les Khazars, qui avaient fourni aux Magyars leurs principaux clans, étaient d’autant moins disposés à faire bon accueil aux Varègues que les Polaniens, les Sévériens, les Krivitches, leur payaient tribut, un écureuil par maison[1], avant l’arrivée de ces étrangers. L’an 6392 (884), Oleg bat les Sévériens, leur impose un tribut très léger, mais leur interdit de rien payer aux Khazars, dont il se déclare le « persécuteur ; » il en agit de même vis-à-vis des Radimitches. À l’Orient, les Mordvines, peuple finno-ougrien, qui jusqu’au commencement du XVe siècle demeurèrent une nation puissante, les Bulgares de la Grande-Bulgarie, dans lesquels Nestor, séduit par les souvenirs bibliques, retrouve des enfans d’Ammon, ne pouvaient pas avoir grande sympathie pour les Scandinaves. Les populations aryennes n’étaient pas moins défiantes que les nations de la race finno-mongole. Les Grecs, qui virent plusieurs fois Constantinople menacée, s’effrayaient du voisinage de ces redoutables païens. Les clans slaves du rameau polanien avaient aussi tout à craindre de la présence de ces conquérans du nord. Les Slaves de la plaine montraient bien quelque docilité ; mais les habitans des forêts avaient des mœurs excessivement farouches. Les Radimitches, Viatitches, Sévériens, vivaient, selon Nestor, dans les bois comme de véritables bêtes fauves, ils se nourrissaient de saletés, ils n’admettaient point le mariage, ils se livraient chez eux à la danse et au jeu en chantant des « chansons diaboliques ; » ils enlevaient les femmes, et en prenaient quelquefois deux ou trois. De nouvelles invasions ne devaient pas tarder à amener aux premiers rangs des adversaires du jeune état d’autres représentans de la race finno-mongole plus redoutables encore que les Khazars et les Bulgares, et contre lesquels une lutte sans merci devint inévitable.

On voit que, si la situation des Rurikovitchs était sous quelques rapports meilleure que celle des Mérovingiens, sous d’autres elle était beaucoup plus périlleuse. On ne pouvait pas leur reprocher, comme aux chefs franks, d’être venus sans appel[2] porter le dernier coup à une civilisation déjà florissante ; ils devaient avoir sur les Scandinaves qui les accompagnaient autant d’autorité que les princes

  1. Les Russes durent eux-mêmes rester leurs tributaires jusqu’au règne du belliqueux Sviatoslav. La défaite des Khazars eut lieu en 915.
  2. Cet appel, dont la vraisemblance a été quelquefois mise en doute, a été, cette année même, contesté en Russie avec d’autres circonstances du récit de Nestor par quelques érudits ; il ne me semble pas que leurs objections aient la valeur qu’on a voulu leur attribuer.