l’un sur l’autre. C’est d’ailleurs le secret de M. Godin, et rien ne servirait de l’approfondir. Peut-être, en mettant cette masse de volontés et de responsabilités en jeu, n’a-t-il cherché qu’une chose, c’est d’établir que, dans l’œuvre fondée par lui et de ses deniers, il est moins maître et moins propriétaire qu’au dehors on ne le croit et que les apparences ne le témoignent, moins libre de gouverner son entreprise comme il l’entend, sujet à plus de servitudes qu’on ne le suppose. Plus pertinemment encore serait-il fondé à ajouter qu’ayant un établissement difficile à conduire, il allait de soi qu’il s’environnât de conseils, cherchât des collaborateurs, multipliât les garanties, s’appuyât sur ses auxiliaires naturels, et, dans la mesure du possible, se les adjoignît comme associés. Sur tous ces points, M. Godin a, ce me semble, agi comme il le devait, prudemment, et, par ces temps de grève, habilement. A se retrancher dans son droit et dans les réalités, il eût trouvé autour de lui des instrumens plus rebelles. Il est donc invulnérable sur ce point.
Où il devient vulnérable, c’est dans le régime au moyen duquel il a converti en pensionnaires la majeure partie de ses ouvriers. Ce régime a reçu dans ses mains et sous sa gestion quelques adoucissemens, mais il n’est ni plus nouveau, ni plus inoffensif pour cela : de 1820 à 1831, il a été dominant dans l’industrie anglaise et en fin de compte très sévèrement jugé. Au début, l’opinion l’avait accueilli comme un bienfait pour les classes laborieuses ; le cri public n’avait pas alors d’assez gros anathèmes contre l’exploitation sans merci des intermédiaires et les bénéfices usuraires qu’ils prélevaient sur les consommations du pauvre. On ne voyait que cette face de la question, et la conclusion était qu’il fallait couper court à ces abus. De là les premiers approvisionnemens formés par des chefs d’industrie pour subvenir aux besoins les plus usuels de leurs ouvriers et à eux cédés au prix du gros, sans bénéfice aucun, quelquefois affranchis de frais de factage. Nés d’une bonne intention et généreusement exécutés, ces petits marchés rencontrèrent un applaudissement unanime. Ce fut l’âge d’or de l’idée ; il dura tant qu’elle ne sortit pas du cercle d’agens désintéressés qui l’avaient conçue, puis, comme tout ce qui passe par des mains humaines, elle dégénéra.
Pour anéantir tout ce bien lentement créé et rentrer dans les voies d’une exploitation cent fois pire que l’ancienne, que suffisait-il en effet ? Il suffisait d’un changement dans les hommes et dans l’esprit qui les animait ; il suffisait de faire de l’assistance un mensonge et d’une nouvelle chasse aux dépouilles du pauvre la réalité. C’est ce qui eut lieu, et le système des compensations en nature changea en un instant de mains. Des dispensateurs scrupuleux, elle passa aux spéculateurs. Ce qu’ils en firent, les enquêtes du parlement anglais