Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/791

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trouverait en Angleterre, en Belgique et en France, une légion d’imitateurs ou quelquefois de devanciers. L’idée était donc non-seulement naturelle, mais heureuse ; même après la manière cavalière dont M. Godin la traite, il n’y a point à en rougir. Il était naturel qu’ayant à loger leurs auxiliaires, de grands industriels prissent la famille comme point de départ et cherchassent à l’installer proprement et commodément ; il était heureux qu’ils prissent à tâche de conduire cette famille ainsi installée par l’épargne à la propriété, et par la propriété aux habitudes sédentaires et au goût du chez soi. Pour eux, l’expérience était faite et le choix n’était pas douteux : sur beaucoup de points, la caserne, d’abord en vogue, avait échoué ; ils en revinrent à la petite maison et au petit jardin ; la cohue écartée, ils constituèrent le ménage.

C’est à la caserne qu’après cette digression, mêlée d’un peu de fiel, aboutit M. Godin. Caserne dorée, il est vrai, mais caserne néanmoins, et si bien caserne qu’il n’y a qu’un pas du champ de manœuvres, c’est-à-dire l’atelier, au dortoir et au réfectoire. Une belle vie et un beau régime, si l’on en croit le fondateur du familistère. Il faut l’entendre là-dessus. « Trouver une forme architecturale, dit-il, qui serait aux petites maisons ce que la grande usine est au petit atelier. C’est là le problème ; c’est l’établissement d’un bien-être accessible à tous, c’est l’organisation sur une vaste échelle de tous les avantages domestiques, de toutes les commodités, de tous les plaisirs, de tous les agrémens nécessaires aux délassemens honnêtes de la famille ; c’est l’installation au profit de tous des institutions nécessaires aux soins du corps, au progrès intellectuel et moral, au développement de l’intelligence, de l’esprit et du cœur. » Sur cette explosion d’enthousiasme, son parti est pris, son plan est arrêté ; il se promet de donner au pauvre toutes les jouissances du riche ou tout au moins ce qu’il nomme les équivalens de la richesse, c’est-à-dire un logement commode et dans ce logement les ressources et les avantages dont le riche est pourvu, tranquillité, agrément, repos, le tout avec le dessein bien arrêté de remplacer par des institutions communes les services que le riche retire de la domesticité. Son dernier mot est ceci, que, ne pouvant faire un palais de la chaumière ou du galetas de chaque famille ouvrière, il mettra du moins la demeure de l’ouvrier dans un palais. Le familistère n’est pas autre chose que le palais social de l’avenir, le premier modèle de la grande architecture domestique !

Ce familistère, ce palais, si l’on veut, fait face à la petite ville de Guise sur une étendue de 180 mètres. L’aile gauche a vue sur les bâtimens de la manufacture, l’aile droite sur les jardins et les coteaux boisés qui bornent la vallée de l’Oise. Tout autour, sur un