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instinct de tyrannie, elle s’est obstinée à réclamer la pauvre pierre que je m’étais juré de ne jamais quitter. J’eus beau m’en défendre, prier, protester… Je ne sais comment cela s’est fait, mais elle a gardé la cornaline ; elle a tout gardé du reste, et je l’ai quittée, dépouillé, humilié, repentant et furieux.

HERMANN A BALTHAZAR.

24 mars.

La bête fauve est déchaînée ! Le sang coule dans Paris, la terreur y règne. On a proclamé la commune, assassiné des généraux, massacré sur la place Vendôme une foule désarmée. La révolution triomphe dans la ville. C’est la guerre civile après l’invasion ; les jours prédits sont arrivés enfin ! Ce sont les funérailles de la grande nation ; nous pouvons à cette heure chanter l’hymne du triomphe !

Les événemens vont se dérouler avec une impitoyable logique. Paris insurgé, armé de fusils, de canons, retranché derrière des positions formidables, Paris peut résister à l’armée de Versailles, — pauvre armée abattue par les revers, en proie à l’indiscipline. Quelques soldats ont déjà levé la crosse, et passé aux rebelles ; qui peut dire ce que feront les autres ? La France n’a qu’une ressource, se jeter dans nos bras pour y chercher un refuge contre elle-même. Nous attendons, impassibles à ses portes, que le moment soit venu pour nous d’intervenir et d’imposer l’ordre au peuple en délire sur les ruines de la grande cité. Tel sera, tel est déjà le prodigieux dénoûment de cette guerre.

HERMANN A BALTHAZAR.

6 avril.

J’ai couru hier à Paris, où nous entrons maintenant sans peine et presque sans précaution. Si la population continue à se montrer hostile, en revanche nous trouvons près des nouvelles autorités de la ville de puissans appuis. On nous ménage, on nous flatte ; il y a comme un traité secret d’alliance.

Ma première visite a été pour la rue Pigalle, où j’ai appris que Fidelis habite maintenant le faubourg Saint-Germain. A l’adresse indiquée, j’ai trouvé un hôtel princier où trônent dans des salons dorés des laquais en livrées éclatantes… J’ai cru d’abord à quelque méprise, mais le personnage à aiguillettes qui me précédait m’a répété que c’était bien la citoyenne Magelonne que j’allais voir. Les aboiemens de Sonora, qui faisait rage au bruit de mes pas, m’ont averti que nous approchions du sanctuaire, et bientôt je me suis trouvé en face de Fidelis nonchalamment étendue sur une chaise longue dans un salon de satin bleu ; elle était vêtue d’une robe flottante de velours pourpre avec de grandes manches ouvertes, d’où