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lendemain je rentrais sans accident dans nos positions, où mes camarades ne tarissent pas de questions sur la ville merveilleuse. Beaucoup donneraient leur meilleure part de butin pour pouvoir tenter pareille aventure.

DOROTHÉE A HERMANN.

25 novembre.

Ta dernière lettre ne m’a pas réjouie, mon cher Hermann ; je n’aime pas ces promenades dans Paris, et je crains que tu ne conserves le désir d’y retourner. Défie-toi des Français, défie-toi surtout des femmes de ce pays. Je ne crois pas qu’il y ait sous le ciel une plus damnable incarnation de Satan. Ce sont des créatures méprisables avec leurs visages peints et leurs chevelures d’emprunt. J’ai ouï dire que les hommes adorent ces idoles fardées, qu’ils se laissent séduire par leurs grâces apprises, par l’amusement d’une conversation effrontée, par la savante corruption de leur esprit. Pour l’amour du ciel, évite ces dangereuses sirènes ; elles sont capables de tous les crimes… Songe que ma vie est liée à ta vie, mon cœur à ton cœur. Je redouterais pour toi la mort moins encore que l’impur contact des filles de Babylone ; mais de quoi vais-je me troubler ? Ne sais-je pas bien tout ce que l’on âme a de candeur, tout ce que ta tendresse a de sincérité et de profondeur ? La mâle vertu de mon Hermann ne saurait se laisser prendre à des pièges si grossiers.

Je joins à cette lettre un vêtement de flanelle que j’ai cousu de mes mains et quelques cigares que t’envoie l’oncle Gaspard. N’oublie pas ceux qui t’aiment ; je prie Dieu pour toi… Et de grâce surtout ne retourne pas à Paris.

HERMANN A DOROTHÉE.

Saint-Cloud, 27 novembre.

Je trouve ta lettre au retour d’une nouvelle excursion dans Paris, qui cette fois a failli me coûter cher. Rassure-toi pourtant, je reviens sain et sauf, et serai plus prudent à l’avenir… Notre promenade avait commencé hier sous les plus heureux auspices ; nous étions entrés presque sans difficultés à Paris, et nous avions employé notre journée à visiter par un beau soleil d’hiver quelques points stratégiquement intéressans de la ville. Le soir, Fritz se rendait à une réunion publique, il me proposa de l’y accompagner.

La salle où se tenait ce club était une grande pièce consacrée en d’autres temps à des bals publics. Des quinquets fumeux et rares n’y répandaient qu’une insuffisante clarté ; il y avait là une foule grouillante et tapageuse uniformément coiffée de képis ; tout cela