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offrit le bras. Un épais brouillard étendait ce jour-là sur Paris ses nuages floconneux et livides ; nous en profitâmes pour nous glisser inaperçus dans le jardin, où nous nous jetâmes derrière un massif.

— J’ai mes raisons, me dit Fritz, pour assister à l’entrevue de ce beau couple. Maurice d’Etreval a des relations ; il est actif, entreprenant, et d’ordinaire bien renseigné. Ce serait le diable s’il ne nous donnait pas entre deux soupirs quelques bons avis ; rien d’indiscret comme un amoureux !

Les deux jeunes gens, après quelques regards furtifs autour d’eux, se persuadèrent sans doute qu’ils étaient seuls ; ils s’arrêtèrent à peu de distance, et le capitaine, prenant les doigts de sa cousine, les porta à ses lèvres. — Vous avez désiré me voir, dit celle-ci ; ce n’est pas un adieu, j’espère !

— Peut-être…

— On va donc se battre ?

— Pas encore ; c’est d’une mission secrète qu’il s’agit.

— Cela m’effraie plus encore qu’une bataille. Vous ne partirez pas seul ?

— Non, Valentine, j’accompagnerai un ami, un savant, qui doit essayer un nouveau système de correspondance entre nous et la province. C’est une invention admirable qui laisse bien en arrière les pigeons, le câble sous-fluvial et les signaux électriques, que l’ennemi intercepte ou que le brouillard dérobe. Malheureusement de mesquines rivalités, l’inertie, l’indécision du pouvoir, entassent obstacles sur obstacles, et retardent notre départ.

— Ce système nouveau, vous le connaissez, Maurice ?

Fritz me poussa du coude ; je suis bien sûr qu’il calculait déjà ce que lui rapporterait cette découverte importante.

— Je le connais, oui sans doute ; mais ceci, chère enfant, c’est un grand secret.

— Et si je vous le demandais, pourtant ?

Le jeune homme hésita ; Fritz et moi, nous respirions à peine.

— Si vous me le demandiez ? Je vous en dirais un autre, Valentine, un autre qui brûle mes lèvres et mon cœur.

— Le diable les emporte, s’écria Fritz si haut qu’il faillit nous faire découvrir, les voilà qui perdent la piste.

La jolie Valentine, semblait rêveuse ; je voyais sa silhouette élégante flotter dans la lourde vapeur jaunâtre qui rampait sur le sol ; à travers les branches dénudées du buisson, je distinguais l’éclat pâle de son visage dans le sombre encadrement de son voile noir…

— Eh bien ! vous vous taisez, Maurice, reprit-elle timidement. — N’avez-vous plus rien à me dire ?

— Hélas ! non, — rien absolument, répondit-il d’un air