Frederick Meiningen, le fils du maître d’école, avec qui je m’étais lié autrefois à l’université. Je l’avais ensuite perdu de vue ; je savais seulement qu’il s’était fixé en France, et qu’il avait fait fortune.
Il me pria de l’attendre, et bientôt après nous soupions gaîment dans un excellent. cabaret du pays. On ne saurait croire combien de métiers a exercés Fritz et quel heureux gaillard il est maintenant. Journaliste, maître de langues, courtier de commerce, phonographe, il a essayé de tout, et s’est arrangé pour récolter de précieux renseignemens que notre gouvernement lui a chèrement payés. Dans ces derniers temps, Fritz s’est fait naturaliser citoyen de la libre Amérique, en sorte qu’il peut nous continuer, malgré la guerre, ses utiles services. C’est actuellement un parfait gentleman, associé d’une grande maison de commerce de Philadelphie. Il est riche et passionné pour la vie de Paris, qu’il adore, et pour les Parisiennes, qui le lui rendent bien, à ce qu’il assure. Il va se marier au printemps avec la fille d’un général français qui ne se doute guère de la vraie profession de son futur gendre, ni de l’usage que fait celui-ci des confidences et des épanchemens de son beau-père. Rien n’est perdu pour ce diable de Fritz, il tire parti de tout, et quelle sûreté de jugement ! quelle fermeté morale ! quel merveilleux sang-froid ! J’étais confondu de sa désinvolture et de son audace ; je n’ai pu le lui cacher. — S ton beau-père venait à soupçonner un jour la vérité ? lui ai-je dit. — Eh bien ! quoi ? N’est-ce pas au bonheur de sa fille que je travaille en même temps qu’à la grandeur de mon pays et à ma prospérité ? Son honneur est intact. Qu’a-t-il à me reprocher ? Laisse donc ! Nul homme n’est l’ennemi de sa propre fortune ; puis, je ne l’oblige point à me donner sa confiance. Est-ce ma faute s’il m’ouvre à la fois son cœur et les secrets de la France ?
Que répondre à cette logique ?
Fritz me combla de joie, ce soir-là, en me promettant de me faire entrer secrètement à Paris. — J’ai du crédit, me dit-il ; j’obtiendrai de t’emmener.
Dès le lendemain, je le vis paraître à l’exercice, et le capitaine, m’ayant aussitôt fait sortir des rangs, me donna l’ordre de le suivre. Nous nous rendîmes à une petite maison isolée où nous trouvâmes des vêtemens civils de toute sorte ; je choisis, parmi ceux qui convenaient à ma taille, les plus beaux que je pus trouver. De son côté, Fritz chercha dans une liasse de papiers un laisser-passer français s’adaptant à merveille à ma figure et à mon air ; j’y étais désigné comme un commerçant de Rotterdam chargé de préparer le ravitaillement de Paris. Le signalement par malheur portait quarante ans, juste quinze ans de trop. Fritz m’assura qu’à Paris on n’y regardait pas de si près, et que, du moment qu’il s’agissait de