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parti révolutionnaire. Elles en alimentaient la polémique et lui fournirent une philosophie. Cette philosophie peut se résumer en deux mots : la révolution française, sauf la période jacobine, n’a été faite que par l’individualisme et pour l’individualisme, par et pour la bourgeoisie. Il faut une révolution nouvelle qui soit faite par et pour le peuple, par et pour le principe de la fraternité.

Nous sommes tout à fait confondus aujourd’hui, avec nos idées actuelles, quand nous lisons dans les écrits de ce temps que le tort de la révolution française aurait été de sacrifier l’égalité à la liberté. Depuis vingt ans, c’est le reproche contraire que nous avons entendu faire de toutes parts. Bien loin de la blâmer d’avoir exalté l’individu et exagéré le principe de liberté, on l’accuse au contraire d’avoir étouffé la liberté et l’individu ; on l’accuse d’avoir hérité de Richelieu et de Louis XIV, et d’en avoir suivi les traditions ; on lui reproche la centralisation, l’excès d’unité, l’amour d’une égalité abstraite, la prédominance du point de vue social sur le point de vue individuel.

Au fond cependant, ces deux genres de critiques ne s’excluent point l’un l’autre, et l’école socialiste les cumulait à la fois l’un et l’autre. Cette école était d’accord avec l’école aristocratique pour se plaindre que la révolution eût déchaîné l’individu, et, en l’affranchissant en apparence, l’eût laissé en réalité sans protection ; mais, au lieu de réclamer en faveur des institutions patriarcales et ecclésiastiques du passé, elle rêvait pour la société tout entière un rôle d’arbitre souverain entre tous les intérêts humains, de tuteur des faibles contre les forts, des pauvres contre les riches. L’état, comme l’empereur en Chine, aurait été en quelque sorte « le père et la mère » de ses sujets. Cette tutelle qui, suivant l’école aristocratique, devait être entre les mains de la noblesse et du clergé, devait, suivant l’école socialiste, vu la déchéance de ces deux classes, passer entre les mains de l’état ; séparées sur le remède, ces deux écoles s’entendaient sur le mal, à savoir ce qu’elles appelaient l’anarchie, ce que nous appelons la liberté.

L’écrivain qui a exprimé ces vues de la manière la plus systématique et la plus tranchante est, comme on sait, M. Louis Blanc dans son Histoire de la Révolution française. Voici toute sa philosophie : il y a trois principes d’organisation sociale, l’autorité, la liberté, la fraternité. Le principe d’autorité a régné dans tout le moyen âge : il a eu toute son expression dans le pouvoir pontifical et ensuite dans la monarchie absolue. La liberté ou l’individualisme, deux

    Les ténèbres bien épaissies, redoublées par des non-sens, ils se sont là-dessus commodément établis, et ont fait un tel mélange de formules, d’abracadabras, que rien de pareil n’a eu lieu depuis la scène des trois sorcières de Macbeth. Vous entendez du dehors toute sorte de doctrines violées, accouplées, torturées, hurler dans la nuit. »