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son pays pendant que nous dévalisions sa maison. Je n’ai pas eu le temps de m’attarder à ces tristes pensées, car du train qu’ils y allaient les camarades ne m’auraient rien laissé. Je les ai rejoints en soupirant, et, grâce au major, j’ai fait respecter mes droits. Je ne puis te dire ici tout ce qui m’est échu en partage ; pourtant je crois que tu auras du plaisir à recevoir une garniture de Sèvres que je t’envoie. Je doute que Rodolphe Schrfmm lui-même ait rien donné de pareil à sa famille. A présent, je l’espère, tu ne seras plus jalouse et tu sauras que le cœur de ton Hermann vaut bien celui d’un Rodolphe Schrimm.

Embrasse tes parens pour moi, je ne les oublierai pas dans mon prochain envoi.

HERMANN A DOROTHEE.

1er novembre.

Il se passe de grandes choses, mon amie. L’occupation d’Orléans par nos troupes, la capitulation de Metz, qui enlève à la France son dernier espoir et sa dernière armée, la reprise du Bourget, que nous avions perdu et que nous avons dû reconquérir au prix des plus sanglans sacrifices, voilà certes de glorieux événemens. Ce n’est pas tout.

Des bruits d’armistice ont couru, on parlait même de paix, d’intervention officieuse des puissances ; mais rien de cela n’est sérieux et ne se fera… Nous ne sommes pas gens à laisser la proie pour l’ombre, et les Français ne sont pas d’humeur à rien céder tant qu’ils pourront se défendre. Il est donc bien certain qu’on ne s’entendra pas ; cependant le dénoûment est proche, l’heure va sonner où l’habileté de la Prusse, ses immortelles rancunes, triompheront enfin.

Des personnages mystérieux circulent dans nos lignes ; le major Hummel, qui est initié à ces mystères, les accueille, échange avec eux des mots de ralliement, les mène et les ramène. Nous qui voyons ces choses, nous sentons notre cœur battre plus vite à la pensée des trames gigantesques qui enserrent notre ennemi plus sûrement encore que les bras innombrables de notre armée, et dont les réseaux s’étendent dans la ville entière.

Chaque nuit, des signaux, partis des différens quartiers de Paris nous avertissent de ce qui s’y passe, et nous rions et nous chantons et nous trinquons gaîment avec les bons vins de France, en voyant combien nous sommes plus forts, plus intelligens que les Parisiens. Ces gens-là croient sans doute que la guerre se fait toujours comme à Fontenoy ; on dirait que leur nourrice les a bercés avec la chanson de Roland et les histoires de la Table-Ronde. Les temps ont changé, messieurs ; il vous faut compter aujourd’hui avec le