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Qu’est-ce maintenant que la souveraineté du peuple suivant nos catholiques démocrates ? C’est ici que l’école se dévoile et laisse éclater ses vrais principes. « La souveraineté du peuple, disent-ils, ne signifie autre chose que souveraineté du but d’activité commune qui fait une nation. » Ce principe de la souveraineté du but appartient en propre à l’école catholico-révolutionnaire, qui allait par là se rejoindre à l’école démagogique et jésuitique de la ligue. En effet, les auteurs de l’Histoire parlementaire réunissent dans une admiration commune le jacobinisme et la ligue. L’un et l’autre, nous disent-ils, ont sauvé l’unité française, proposition étrange pour ce qui est de la ligue, qui voulait une royauté espagnole. Ligue et jacobinisme ont ce mérite commun d’admettre et de pratiquer le principe de la souveraineté du but. Comment ce principe est-il identique à celui de la souveraineté du peuple ? Le voici. Le but de la société, but révélé par l’Évangile, poursuivi par la révolution, c’est la fraternité, c’est-à-dire l’égalité, c’est-à-dire l’abolition de tous privilèges, aussi bien des privilèges de la bourgeoisie que ceux de la noblesse et du clergé : égalité de tous, voilà le but. Maintenant l’individu peut se tromper sur son but d’activité, mais l’universalité du peuple ne se trompera pas. Qui dit souveraineté du peuple dit donc souveraineté du but. « Tout se faisant par le peuple, tout se fera pour le peuple. » Cependant, en identifiant ainsi le peuple et le but, Bûchez donnait bien à entendre qu’il ne se fiait pas beaucoup à cette sorte d’infaillibilité populaire, car c’était au pouvoir gouvernemental qu’il attribuait ce qu’il appelait « le principe initiateur, » et la souveraineté du peuple, déjà confondue avec la souveraineté du but, finissait par se confondre avec la souveraineté de ceux qui avaient la conscience de ce but, privilège qui pendant la révolution n’avait appartenu qu’aux seuls jacobins ; c’est ainsi que les jacobins se trouvaient investis du rôle qui semblait ne devoir appartenir qu’à l’église, à savoir le rôle de décréter infailliblement le dogme du devoir social.

Il est remarquable que, de toutes les écoles révolutionnaires, celle qui est allée le plus loin dans l’apologie des crimes révolutionnaires est précisément celle qui se couvrait d’un faux vernis de catholicisme. Elle cumulait en effet le fanatisme des deux écoles, et trouvait moyen d’envelopper dans une apologie commune et les massacres de septembre et la Saint-Barthélémy. Jamais le principe de la souveraineté du but ne s’est affiché avec un plus grossier cynisme que dans cette apologie du « fait de septembre, » comme ils l’appellent. Ce fait, disent-ils, fut « une mesure de salut public. » Si nous le condamnons, c’est par suite de notre « inintelligence des causes qui commandèrent à nos ancêtres. » Nous n’avons plus « les haines » de cette époque, comme si la haine était une circonstance