Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/719

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

durent renoncer à leur tentative, toujours « pour cause d’intolérance. » Les cantons suisses ne se montrèrent pas plus accessibles à la propagande ; en Suède, les apôtres furent « chassés sommairement. » Dans l’Amérique du Sud, un premier essai fut fait en 1851 ; deux anciens se rendirent au Chili pour y prêcher l’évangile mormon, mais sans le moindre succès. Depuis cette époque, il paraît que le mormonisme a réussi à s’introduire dans le Paraguay, où de grands personnages se sont adonnés à la « noble passion » de la bigamie, si bien que l’année dernière le gouvernement a prescrit de demander aux hommes qui désirent être mariés la preuve qu’ils ne le sont pas déjà.

En 1853, une mission mormonne se rendit en Chine ; elle y tomba en pleine guerre civile, et n’osa pas pénétrer dans l’intérieur du pays. Au demeurant, les « célestes » déclaraient qu’ils n’avaient pas le temps de causer de religion. Les colonies anglaises du Pacifique, — l’Australie, la Tasmanie, la Nouvelle-Zélande, — se montrèrent moins ingrates ; mais dans l’Inde, pour les dégoûter de leur tâche, on laissait les apôtres plus d’une fois coucher à la belle étoile, exposés aux intempéries, aux serpens et aux tigres. A Ceylan, on les rançonnait. A la Jamaïque, pour pouvoir prêcher, ils furent obligés de louer une salle ; la populace s’ameuta, menaçant de démolir le local, et l’autorité ne voulut les laisser parler que s’ils déposaient le prix de la maison. Les apôtres répondirent qu’ils étaient venus non pour protéger la propriété, mais pour prêcher l’Évangile, et ils renoncèrent aux conversions. Avant qu’ils fussent partis ; on les poursuivait dans les rues, et un nègre leur tira dessus. Les missionnaires mormons eurent plus de succès à Malte, où ils purent fonder une branche sédentaire de leur secte, une « branche flottante, » composée de matelots de plusieurs navires de guerre, et une branche expéditionnaire, » à laquelle appartenaient les frères qui faisaient partie des régimens anglais en Crimée.

Tous ces faits prouvent que le développement du mormonisme n’a guère répondu à l’énergie déployée par les chefs. Même dans le Deseret (pays de l’Abeille), comme ils appellent leur territoire, la prospérité est bien au-dessous de ce que pouvaient faire espérer la douceur du climat et la fertilité du sol[1]. Sous la domination tyrannique de Brigham Young, le zèle qui animait les fidèles dans leurs commencemens si difficiles s’est relâché. D’ailleurs bien peu d’entre eux peuvent s’élever à une aisance modeste. Les nouveaux arrivans reçoivent une pièce de terre dont ils acquittent le prix à terme, et l’église prélève la dîme sur leurs récoltes ; on leur donne aide et assistance pour bâtir une maison et mettre en culture leur champ. Ils vivent ainsi au jour le jour sans trop de peine, mais les saints n’amassent pas d’argent : c’est là

  1. Un établissement norvégien dans le Wisconsin s’est développé d’une manière infiniment plus satisfaisante malgré des conditions extérieures moins favorables.