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de le trouver parfaitement au courant des affaires d’Europe, et on ne tarde pas à savoir que ces mormons sont nés qui à Glascow, qui à Manchester ou à Edimbourg. Les femmes des saints les plus renommés et les plus mariés sont invariablement des Anglaises.

Les « pécheurs » du royaume-uni sont répartis en vingt et une « conférences » ou districts, présidés chacun par un ancien (elder) ; il y a huit branches à Londres même. Une centaine d’anciens, quarante prêtres, vingt instituteurs, trente diacres, y sont incessamment occupés de recruter des prosélytes. Voici un spécimen des « invitations » qu’ils glissent dans la main de ceux qu’ils jugent accessibles aux tentations de leur doctrine. « Une œuvre grande, et merveilleuse s’accomplit, que nous recommandons à votre attention la plus sérieuse. Dieu, qui autrefois se révélait aux prophètes, a de nos jours fait entendre sa voix aux hommes. Les anges, qui jadis portaient à la terre des messages du ciel, ont encore visité cette planète et rétabli la communication avec le monde éternel, qui était interrompue depuis si longtemps. Jésus de Nazareth, qui succomba au Calvaire, et qui fut ressuscité par la volonté du père, s’est manifesté de nouveau, et a réorganisé son église avec des apôtres et des prophètes inspirés, d’après le modèle primitif ; il a dit à ses serviteurs d’aller et de préparer les voies pour sa seconde venue, qui est proche. Ces paroles sont de toute vérité ; Dieu en portera témoignage en donnant le pouvoir du Saint-Esprit à tous ceux qui accueilleront l’Évangile avec des cœurs sincères. Si vous désirez en savoir davantage sur cette grande œuvre, qui consiste dans la dispensation de l’accomplissement des temps, venez à nos réunions. »

Des appels de ce genre ne manquent pas leur effet sur l’esprit de certaines classes de la société anglaise, où les sectes religieuses ont de tout temps trouvé de fervens disciples. Les prédicateurs mormons savent d’ailleurs se mettre à la portée de leur auditoire ; ils évoquent à propos le mirage des félicités millénaires. Plus de riches pressurant les pauvres, plus de pauvres enviant les riches, plus de souffrances, plus de luttes, plus de crimes ! Le but suprême des saints du dernier jour est une vie heureuse, et c’est de leur Sion que doit se lever l’aube du millénium. Ces promesses font tourner la tête à maint brave laboureur, à maint artisan, qui jettent la pioche et la varlope, et s’embarquent pour le pays de Cocagne. À la dernière conférence annuelle, tenue à Glascow, soixante prosélytes nouveaux, présentés à la communauté, furent dûment baptisés par immersion complète dans la Clyde. Les discours des anciens Grove et Elredge, venus d’Amérique pour la circonstance, ne trahissaient aucune inquiétude sur l’avenir de leur secte. Ils ne parlaient qu’avec mépris de la « Babylone britannique, » où le peuple vit dans les ténèbres de l’ignorance. « L’état de ce pays, disait Elredge, est aussi éloigné de la civilisation que l’enfer l’est du ciel. » Il est à remarquer que ces sortes d’apôtres ne parlent de la polygamie que fort