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oubliée ? Il peut assurément en sortir des lumières pour tout le monde. C’est à M. Thiers, qui a aujourd’hui l’honneur d’être le premier citoyen de son pays, d’être aussi le premier à s’interroger lui-même, à sonder d’un œil calme et ferme une situation à laquelle il n’est point étranger, de travailler à effacer les traces que de tels incidens laissent malheureusement après eux. Il s’est placé assez haut par les services qu’il a rendus pour n’avoir point à craindre de s’affaiblir par une de ces franches et libres explications qui souvent éclaircissent et dégagent les situations les plus difficiles. Nul mieux que lui n’est en mesure de dissiper ce qui peut rester de malaise ou d’incertitude, de remettre les esprits dans le vrai chemin, en donnant à tous l’exemple d’une haute et sincère conciliation. Faire prévaloir les idées qu’on croit justes, entraîner à sa suite les convictions et les votes, c’est une satisfaction et une gloire sans doute. S’il y a des résistances, vaincre, s’il faut traiter avec des idées qu’on ne partage pas toujours, il n’y a pas moins de mérite à rester l’ouvrier dévoué des reconstructions laborieuses, le médiateur des opinions, des passions ou des intérêts, le serviteur du pays, même quelquefois pour ne pas faire tout ce qu’on voudrait faire. Quand surviennent ces crises où éclate l’impétuosité française, où l’on parle si souvent de se retirer, nous ne pouvons nous empêcher de nous souvenir de cet homme qui fut, lui aussi, un grand serviteur de son pays, le duc de Wellington. Plus d’une fois le duc de Wellington fut appelé au ministère pour pratiquer une politique qui n’était pas la sienne, et, si on lui en faisait l’objection, il répondait que l’Angleterre et son souverain l’avaient placé dans une position telle qu’il ne se reconnaissait pas le droit de leur refuser ses service, lorsqu’on les lui demandait. C’est ce même homme qui écrivait un jour à son frère au sujet d’une mesure qui le blessait : « Vous comprenez combien cet arrangement me contrarie ; mais je n’ai jamais fait grand fond sur le patriotisme d’un homme qui ne saurait pas sacrifier ses vues personnelles quand cela est nécessaire. » Grande leçon pour tous ceux qui ont à gouverner les hommes, qui doivent servir le pays pour le pays, non pour eux-mêmes, et le duc de Wellington est certainement de ceux dont l’exemple ne peut diminuer personne.

Savoir « sacrifier ses vues personnelles quand cela est nécessaire, » ce n’est point s’affaiblir, c’est se donner quelquefois une force nouvelle ; c’est dans tous les cas le meilleur moyen de ne rien laisser subsister des crises qui sont passées et d’émousser d’avance les crises qui pourraient venir. M. Thiers, avec sa claire et prompte intelligence, comprend tout, il sait bien que le meilleur procédé pour faire oublier un conflit, ce n’est pas d’annoncer des conflits nouveaux ou d’avoir l’air de continuer le combat lorsque la paix est signée. Quant à l’assemblée, ce qu’il y a certainement de plus clair pour elle dans la dernière crise, c’est la nécessité pressante, impérieuse, de tirer enfin de son propre soin une majorité