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importées en France, tout a été passé en revue dans une discussion des plus sérieuses, des plus intéressantes. Le gouvernement, conduit au combat par M. Thiers en personne, tenait essentiellement à faire prévaloir ses idées, son impôt de prédilection sur les matières premières, et il a déployé certes une dextérité infinie pour évincer toutes les autres combinaisons au profit de son propre système. L’assemblée de son côté avait de visibles hésitations en présence de cet impôt sur les matières premières, qui lui apparaissait, non sans raison, comme un danger pour le développement du travail national. Elle se sentait partagée entre un instinct qu’elle ne pouvait surmonter et le chagrin de résister à l’éloquence du chef du pouvoir exécutif. Elle était soutenue dans sa résistance par l’agitation des villes industrielles, par le concours pressant des délégués de presque toutes les chambres de commerce qui affluaient à Versailles. Le résultat de ces honnêtes et sérieuses perplexités a été le vote d’une motion de M. Feray proposant de renvoyer toutes ces questions à une commission qui serait chargée d’examiner de nouveau les moyens de faire face au déficit, avec cette simple réserve qu’on n’aurait recours à l’impôt sur les matières premières que si on ne pouvait trouver rien de mieux. Le gouvernement aurait voulu qu’on votât d’abord le principe de l’impôt en laissant à la commission le soin de revoir et de fixer les tarifs d’importation ; la proposition Feray réservait l’examen des tarifs et le principe. C’est la proposition Feray qui l’a emporté, et la crise a éclaté aussitôt.

En définitive cependant, où était la difficulté ? C’était un mécompte, si l’on veut, un ennui peut-être, il n’y avait rien de plus. Refusait-on au gouvernement les moyens de rétablir l’équilibre du budget ? Nullement ; on ne refusait rien, on ne discutait pas cette somme de 250 millions réclamée par le gouvernement : on s’offrait à la payer sous une forme quelconque, on insinuait tout au plus timidement qu’il serait peut-être plus régulier de fixer les dépenses avant de déterminer le chiffre des recettes nécessaires. Écartait-on décidément et absolument l’impôt sur les matières premières ? Ce n’était pas même cela, l’impôt était réservé ; il était seulement entendu qu’on ne se servirait de cette ressource qu’à la dernière extrémité. L’assemblée enfin laissait-elle entrevoir l’ombre d’une préoccupation politique, d’une méfiance à l’égard du gouvernement ? Les listes du vote, offrent le plus curieux mélange de toutes les nuances possibles d’opinions ; dans chacun des deux champs, les noms les plus étonnés de se trouver ensemble se rencontrent et se confondent. C’est le vote le plus dénué de toute signification politique qui fut jamais, et de plus il ne pouvait avoir rien d’imprévu pour le gouvernement. Ce n’était point là une de ces surprises de scrutin qui peuvent blesser un pouvoir susceptible. Le gouvernement n’ignorait pas que jusqu’ici la commission du budget avait résisté avec une fermeté pa-