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dans leur intérêt même, d’une certaine modération relative ; mais c’est méconnaître les conditions nécessaires d’une élection que de vouloir que les candidats descendent seuls dans la lice. C’est réduire au silence et forcer à l’abstention les partis qui, ne pouvant espérer le succès pour eux-mêmes, se rallient par nécessité à la candidature dont ils conçoivent le moins d’ombrage. C’est autoriser la défaillance de ces électeurs irrésolus qui ont besoin de conseils répétés sous toutes les formes et des plus pressantes exhortations pour se décider, quand ils ne peuvent faire le meilleur choix, à faire le moins mauvais. C’est décourager enfin beaucoup d’hommes de bien dont le dévoûment ne se refuse point aux fonctions électives, mais qui répugnent à les briguer et à soutenir de leurs personnes, en vue du succès, des luttes où, quoi qu’on fasse, on perd toujours quelque chose de son calme et de sa dignité. Le plus sage est encore de se résigner à des excès qui semblent inséparables d’une élection libre. Les pays plus habitués que le nôtre à l’agitation politique en supportent de bien plus graves, qui sont passés dans les mœurs et qui se corrigent en quelque sorte par leur impunité même. Personne n’y prend plus à la lettre ces appels furibonds aux passions, les plus violentes ou les plus grossières, qui sont comme un stimulant dont les natures les moins cultivées ont besoin pour s’intéresser aux luttes électorales. Notre situation n’a jamais été assez calme pour nous permettre une semblable tolérance, et la répression, toujours en réserves d’autant plus efficace qu’on y a plus rarement recours, suffit pour les cas les plus graves, pour les provocations directes à la guerre civile et au renversement des lois, pour les violences matérielles, beaucoup plus rares d’ailleurs dans les élections françaises que dans les élections anglaises ou américaines. Quant au retour à un régime préventif, tout esprit non-seulement libéral, mais politique doit en écarter la pensée. Notre salut est dans la vie politique franchement acceptée avec tous ses périls ; nous n’avons pas moins à craindre de l’inertie du plus grand nombre que du trop d’ardeur de quelques-uns, et, s’il est bon savoir toujours présent le souvenir de l’empire, c’est pour en tirer des leçons sur le danger du premier de ces maux, non pour lui emprunter des exemples en vue de conjurer le second.

Cherchera-t-on enfin un remède dans la réforme même de notre système électoral ? Le scrutin de liste par département paraît universellement condamné. Le suffrage à deux degrés vient de trouver un habile défenseur[1]. Beaucoup de bons esprits voudraient assurer la représentation des minorités. D’excellentes raisons sont données, soit pour faire ressortir les inconvéniens du régime

  1. Du Suffrage universel et de la manière de voler, par M. Taine.