Si telles sont les principales causes qui détournent du devoir électoral tant de citoyens, il est aisé de voir que l’intervention du législateur ne suffirait pas à elle seule pour faire cesser ou pour diminuer utilement les abstentions. On a proposé des pénalités ; elles seraient parfaitement justifiées. Dans une démocratie libérale, le vote universel et obligatoire, le service universel et obligatoire, sont deux termes qui s’appellent réciproquement, et, s’il fallait sacrifier l’un des deux, ce n’est pas assurément le premier. Le service militaire répond aux nécessités les plus pressantes d’un pays : la défense du territoire ou de l’honneur national contre les ennemis du dehors, le maintien de l’ordre contre les ennemis du dedans ; mais ces nécessités exigent seulement que tous soient prêts pour y faire face. Sauf dans des circonstances exceptionnellement rares, elles ne réclament pas le concours effectif et simultané de tous, et même dans de telles circonstances il y a place pour des exemptions fondées sur des impossibilités physiques ou sur des devoirs d’un autre ordre. Le suffrage populaire, quand il sert de base aux institutions d’un pays, met en jeu tous ses intérêts ; des jugemens qu’il est appelé à rendre dépend la paix ou la guerre, l’ordre ou le désordre, le salut ou la perte de la fortune publique et des fortunes privées. Or ce qu’il demande à chaque citoyen, c’est un effort d’un instant auquel tous peuvent se prêter à la fois, et qui ne porte préjudice à l’exercice d’aucune profession, à l’accomplissement d’aucun devoir : une impossibilité absolue peut seule donner le droit de s’y soustraire. L’obligation de voter est d’autant plus rigoureuse qu’elle s’accomplit en toute liberté. Protégé par le secret du vote, celui qui concourt à un mauvais choix n’est responsable que devant sa conscience, tandis que celui qui, par son abstention, favorise aussi, quoique d’une façon négative, un mauvais choix, encourt une responsabilité manifestée par un fait public, légalement appréciable et légalement punissable. C’est un déserteur dans le plus grave des combats, dans un combat qui peut prévenir ou empêcher tous les autres, si la victoire y est assurée au bon sens et au bon droit. Des peines contre l’abstention n’ont donc rien que de très légitime, et elles seraient loin d’être inefficaces contre l’indifférence ou l’inertie d’un trop grand nombre d’électeurs ; mais quelle serait la valeur de ces votes obtenus par force sous la menace de l’amende, ou de la prison ? La contrainte légale ferait-elle la lumière dans ces esprits troublés qui ne voient partout qu’expériences malheureuses et tentatives pleines de périls, pour qui tout choix à faire est par quelque côté un sujet d’effroi, à qui ne s’offrent enfin que des conseils
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