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même du chef de l’état, et engageaient ainsi une responsabilité que la constitution proclamait sans doute, mais qui n’avait pas de sanction en dehors d’une révolution ; enfin elles détournaient à leur profit tous les moyens d’action dont le gouvernement avait le devoir de disposer pour le bien de tous, non dans l’intérêt exclusif de ses partisans : l’argent des contribuables et l’influence des fonctionnaires de tout ordre. Il ne faut pas se lasser de flétrir ces pratiques ; un gouvernement strictement libéral, tout en les répudiant, a pourtant le droit d’avouer les candidats qui représentent le mieux sa politique. C’est la condition même d’un ministère parlementaire que son existence soit sans cesse en question devant les représentans du pays et, à certains intervalles, devant le pays lui-même. S’il n’est pas permis aux ministres d’une monarchie ou d’une république constitutionnelle de découvrir le chef de l’état en dehors des limites de sa responsabilité propre, ou de recourir, pour gagner des voix, à des moyens d’intimidation ou de corruption, ils ont le droit et souvent même le devoir, à chaque vote du parlement, de déclarer et de soutenir leur opinion, — en d’autres termes, de plaider leur cause. Pourquoi n’auraient-ils pas le même droit, sous les mêmes -réserves, chaque fais qu’ils font appel aux électeurs ? Point de manœuvres corruptrices, point d’invocation à un patronage qui n’est pas en cause ; mais y a-t-il lieu de s’indigner si ceux dont le maintien ou la chute dépend des choix qui vont être faits croient devoir indiquer nettement et loyalement quelle signification ils attachent à ces choix ?

Ce rôle légitime est malheureusement interdit au gouvernement actuel. Il n’a que l’apparence d’un gouvernement parlementaire. Il ne représente pas un parti au pouvoir, se défendant contre un ou plusieurs partis opposans ; il est, comme l’a si bien défini M. Thiers, « une moyenne acceptée par tous les partis raisonnables et imposée à ceux qui ne le sont pas. » De là sa nécessité et sa quasi-irresponsabilité, de là aussi pour lui un état de suspicion dont il ne peut pas se dégager pour user de tous ses droits et pour remplir tous ses devoirs. Aucun des partis que M. Thiers appelle raisonnables n’oserait prendre sur lui de le renverser, mais chacun d’eux lui demande des gages et se plaint de ceux qu’il donne aux partis rivaux. Il n’agit presque jamais sans mécontenter quelques-uns de ceux qui se disent ses partisans ; il ne tient entre eux la balance égale qu’à la condition de se désintéresser de leurs luttes. Telle est aussi la situation de ses agens. Ils ne peuvent être, comme lui-même, qu’une moyenne entre les, partis qui ne lui sont pas ouvertement hostiles. Toujours en butte, suivant leurs antécédens respectifs, aux défiances de tel ou tel parti, ils ne se soutiennent qu’à force de s’effacer. Lors même qu’ils se sentiraient assez forte