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tories, des républicains aux démocrates ou des libéraux aux catholiques. Il en est tout autrement parmi nous. Même dans les temps en apparence les plus calmes, nous éprouvons le besoin de tout mettre en question, depuis le moindre intérêt de clocher jusqu’aux bases de l’ordre social. Sous l’empire, où le rôle des députés était si restreint, il n’était rien de trop petit ou de trop grand pour qu’un candidat à la députation dédaignât ou se fît scrupule de lui donner place dans sa profession de foi. C’était rechercher à plaisir, souvent le dessein, la confusion. Aujourd’hui le même entassement de montagnes, Ossa sur Pélion, se dresse inévitablement devant les candidats comme devant les électeurs. En vain voudrait-on écarter les plus gros problèmes, ils s’imposent, ils exigent qu’on se prononce sur eux par le seul fait de l’impatience de ceux qui n’en savent pas comprendre ou qui n’en veulent pas accepter l’ajournement. Si tous ces intérêts, plus ou moins urgens, se classaient suivant la division des partis, l’embarras serait grand encore pour la plupart des électeurs ; mais telle est, dans ce double état de centralisation excessive où nous n’avons pas cessé de vivre et de trouble universel où nos fautes nous ont plongés, la confusion des idées, des besoins, des situations, que les esprits extrêmes, possédés par une passion unique, peuvent seuls être d’un seul parti et tout subordonner à une cause. — Tel candidat qui me promet son influence et sa voix pour le gouvernement de mes préférences inquiète mes sentimens religieux, il professe des doctrines économiques contraires à mes principes ou menaçantes pour mes intérêts, ou bien encore sa faveur est assurée à telle commune ou à tel canton au détriment de mon canton ou de ma commune. — Toutes ces préoccupations pèsent dans une élection. Les ardens se décident pour l’intérêt qu’ils comprennent le mieux ou qui leur tient le plus à cœur, et ce n’est pas toujours l’intérêt général : l’abstention paraît souvent le parti le plus sûr aux esprits sages ou timorés.

Joignez enfin la brusque suppression des candidatures officielles. Au temps où elles florissaient, l’électeur qui avait confiance dans le gouvernement impérial, ou qui craignait les conséquences de sa chute, savait pour qui il devait voter. Quant à celui qui cédait à des velléités d’opposition, irréconciliables ou non, il savait au moins pour qui il ne devait pas voter. Le système était détestable ; cependant il avait ses avantages : il répondait à des besoins réels que peut reconnaître le libéralisme le plus ombrageux, et il y a quelque chose d’excessif dans la réaction qui l’a emporté tout entier. Les candidatures officielles s’appuyaient sur trois pratiques également mauvaises : elles substituaient au choix spontané des électeurs la désignation du gouvernement ; elles faisaient intervenir, dans des luttes où la politique seule du gouvernement devait être en jeu, le nom