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contenir une révolution déchaînée, qui oserait dire qu’on ne peut la prévenir par de sages réformes ? Or, sans méconnaître ce qui a été fait par Turgot et Malesherbes, par Necker lui-même, qui ne sait que c’est l’opposition des courtisans qui a provoqué la chute de ces sages ministres, qui ne sait que la cour s’est toujours opposée à la réduction des dépenses, c’est-à-dire des faveurs, que les privilégiés ont toujours refusé l’égalité des charges, que les parlemens eux-mêmes y mettaient obstacle, que dès l’origine des états-généraux les deux ordres privilégiés s’obstinèrent à refuser de se fondre dans la nation, ce qui permettait de supposer le parti-pris de maintenir les privilèges ? Qui ne sait que dès le 14 juillet commença la première émigration, le comte d’Artois donnant l’exemple d’un prince du sang parcourant l’Europe pour mendier des secours contre sa patrie ? Si l’on doit déplorer les journées d’octobre et même le 14 juillet, le premier de ces coups de force qui devaient plus tard se multiplier tant de fois parmi nous, ne sait-on pas aussi quelles imprudences de la cour ont provoqué ces désordres ? Si l’on peut croire à la sincérité de Louis XVI, né, comme le dit M. Mignet, pour être un roi constitutionnel, doit-on croire à celle de Marie-Antoinette, doublement imbue des maximes despotiques et comme fille d’Autriche et comme reine de France ? Si l’on doit regretter enfin que les sages idées constitutionnelles n’aient pas pris le dessus dans la constitution de 91, ne sait-on point que la droite s’unissait à la gauche pour faire avorter toutes les idées modérées ? À ces provocations du dedans s’unit la provocation du dehors pour amener la révolution à ce degré d’exaltation qui l’a rendue à la fois si criminelle et si puissante. La France en effet, par sa situation continentale, a le privilège que rien de ce qui se passe chez elle n’est indifférent aux autres peuples. Un changement de société en France est un changement de société en Europe, et par conséquent intéresse tous les états. On prétend que la France n’a pas été réellement menacée par l’Europe[1], peu importe ; que la France se soit crue menacée, ou qu’elle l’ait été en réalité, dans les deux cas elle a pu considérer comme une résolution nécessaire à son salut de prendre l’offensive pour éviter d’être surprise. N’y avait-il donc pas des émigrés à la frontière, un camp à Coblentz, des princes cherchant partout des alliés contre leur pays ? La France était fatalement entourée d’ennemis.

On doit donc accorder aux deux historiens que les résistances du passé et les provocations du dehors ont contribué pour une large

  1. C’est l’opinion de l’historien allemand M. Sybel ; mais la partialité révoltante de son histoire ne donne aucune autorité à la valeur de son témoignage.