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adressées à l’assemblée nationale, et les moins chimériques prendront sans doute la forme de propositions de lois. Dans un moment où le salut du pays est plus que jamais attaché à l’exercice consciencieux du droit de vote, nulle matière n’appelle davantage l’attention du législateur. Il ne faut pas toutefois s’exagérer l’effet de l’action légale. On risque d’aggraver le mal, si on se borne à en prévenir ou en réprimer les conséquences sans remonter aux véritables causes ; or ces causes sont surtout dans la confusion des idées et dans le trouble des consciences : elles relèvent beaucoup moins des lois que de l’opinion, publique et des mœurs.


I

Les abstentions, dans un temps comme celui-ci, ne sont pas seulement le fait de l’indifférence ou de l’apathie ; elles attestent un profond découragement. Le propre des révolutions est de détruire la confiance à l’égard de ce qu’elles renversent, sans la faire naître à l’égard de ce qu’elles prétendent fonder. Si, dans les partis aux prises, les regrets et les espérances affectent le caractère d’une foi vive et militante, combien assistent incertains, inquiets, effarés, à des événemens qu’ils ne comprennent pas et où tout leur est un sujet de crainte ! Et quand le découragement fut-il plus naturel que dans cette néfaste période, où il n’y a de clair qu’une série inouïe de catastrophes ? Quatre mois ne s’étaient pas écoulés depuis qu’une majorité énorme avait témoigné sinon une confiance entière dans l’édifice impérial, du moins une peur extrême de le voir tomber, lorsqu’il s’est écroulé en un jour par ses seules fautes sans trouver un défenseur. Cette chute laissait le pouvoir aux mains d’un parti qui, pour le pays, était un épouvantail, et ce parti assumait la double responsabilité d’une révolution à diriger en la contenant, d’une invasion étrangère à repousser ! On ne sait que trop combien le parti républicain a échoué dans cette double tâche. Qu’il faille lui tenir compte des circonstances qui l’ont plutôt porté au pouvoir qu’il ne s’y est porté lui-même que ses imprudences et ses excès ne doivent pas faire oublier ses efforts sincères, et qui n’ont pas tous été malheureux, pour maintenir l’ordre et pour sauver au moins l’honneur national, cela n’est douteux pour aucun esprit impartial. Il ne faut pas se laisser prendre à cette tactique impudente qui, en exagérant les fautes de la république du 4 septembre, cherche par comparaison, à justifier ou à excuser l’empire. Est-il étonnant toutefois que beaucoup d’esprits droits et qui ne manquent pas de lumières, sans regretter l’empire, soient toujours dominés par la terreur que, dès son avènement, la république leur avait inspirée ?