Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/663

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Prusse rhénane, qui, lors de l’invasion des métiers mécaniques et de la création de grandes usines, entreprirent de défendre leur situation à armes égales et opposèrent aux puissantes machines de 30 à 35 chevaux, animant 400 ou 500 métiers, des machines plus petites de 6 ou 8 chevaux. Dans l’industrie de Paris, il y a des moteurs à vapeur de la force de 2 ou 3 chevaux, cela suffirait pour animer un atelier campagnard. Il y a un asile à Sainte-Marie-aux-Mines où 8 métiers sont exploités par 13 jeunes filles sous la conduite d’un contre-maître ; cette organisation simple a produit, à tous les points de vue, les meilleurs effets. Un inspecteur des manufactures d’Angleterre, M. Robert Baker, dans son rapport de 1867, dit avoir vu à Coventry, en dehors des grandes manufactures de rubans, environ 400 maisons dans chacune desquelles un homme et sa femme, aidés quelquefois de 2 ou 3 autres ouvriers, pratiquaient le tissage à la vapeur, soit qu’ils produisissent eux-mêmes la force motrice au moyen d’une faible machine, soit qu’ils l’empruntassent à des usines contiguës. On a eu des exemples en effet de grands établissemens autour desquels étaient agglomérées une foule d’habitations ouvrières, dont chacune recevait à l’intérieur, par des arbres de couche et de transmission, une partie de la force produite dans la manufacture centrale. Il s’est constitué en Hollande et ailleurs des sociétés de location de force motrice, qui ont eu pour but de détailler et de mettre à la portée de tous cette puissance de la vapeur, qui n’a appartenu jusqu’ici qu’aux établissemens importans. Il y a d’autres générateurs de force motrice que la vapeur ; l’électricité et le moteur Lenoir peuvent aussi servir à démocratiser l’industrie automatique. Quel est l’avenir réservé à ces essais ? Le jour viendra-t-il où un développement de nos connaissances scientifiques et industrielles mettra la force motrice à la disposition de chaque chaumière et de chaque mansarde ? Jusqu’à ce que cette nouvelle découverte ait transformé les conditions de l’industrie, des centaines de mille femmes continueront à travailler dans les manufactures ; il est donc important que la loi, la science et l’humanité s’unissent pour adoucir chaque jour le travail des usines et le rendre compatible avec-le bien-être et la moralité de l’ouvrière. Nous avons indiqué les mesures qui nous semblent les meilleures, nous avons signalé les exemples qui se sont montrés les plus pratiques. Si quelque esprit sceptique se prenait à douter de la valeur de ces remèdes, nous lui rappellerions qu’il faut toujours viser au mieux pour atteindre le bien, et qu’en matière d’industrie les utopies de la veille ont souvent été les réalités du lendemain.


PAUL LEROY-BEAULIEU.