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n’en est rien pourtant ; l’observation froide et attentive démontre que le régime des manufactures n’a pas rendu les mœurs plus dépravées qu’elles ne l’étaient jadis, il a seulement attiré les regards sur des souillures jusque-là cachées.


III

Nous avons pris la défense du travail des femmes dans les usines ; on a vu que ni la grande industrie ne pouvait se passer des ouvrières, ni celles-ci de la grande industrie. Est-ce à dire qu’on doive se tenir pour satisfait et n’entrevoir aucune réforme possible ou urgente dans le monde industriel ? Dieu nous préserve d’un optimisme qui serait aussi impie que décevant ! Nous avons voulu seulement mettre le public en garde contre des déclamations qui sont pleines de dangers. Dans ce rude labeur de la vie humaine, les misères abondent ; mais, pour les soulager d’une manière efficace, il faut faire un instant violence à son cœur et examiner froidement ce qui est pratique et raisonnable. Sans cette vue nette des choses, l’amour du bien précipite les particuliers et les législateurs dans des erreurs chèrement expiées.

La présence des ouvrières dans les usines est, en notre état de civilisation, un bien relatif, parce que sans les usines 1 million d’ouvrières ne pourraient vivre ; au point de vue absolu, c’est un mal, parce que la femme semble créée pour des occupations plus sédentaires et moins assidues, parce que sa place naturelle et providentielle est marquée au foyer de la famille, qui souffre de son absence. Pour conserver à la femme le profit des occupations manufacturières et pour lui restituer les bienfaits de la vie d’intérieur, que peuvent faire les lois, et que peuvent faire les mœurs ? De toutes les législations industrielles, aucune ne s’est autant occupée du travail des femmes que la législation anglaise. C’est au début même de ce siècle, sous le règne de George III, et par l’initiative d’un grand manufacturier, le premier sir Robert Peel, que fut voté en Angleterre l’acte du parlement pour la conservation de la santé et de la moralité des jeunes ouvriers employés dans les manufactures de coton et de laine. Le travail au-delà de douze heures était prohibé pour eux. Un autre acte de 1819, amendant le précédent, défendit l’emploi d’enfans au-dessous de neuf ans dans les usines. Ces premiers essais devaient conduire à des mesures plus sérieuses et plus larges. L’acte de 1833 inaugura une nouvelle ère de réglementation progressive et efficace : il défendait que l’on fît travailler les enfans de neuf à onze ans plus de neuf heures par jour et de quarante-huit heures par semaine ; mais en outre il réduisait à douze heures par jour et à soixante-neuf heures par semaine le