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nous avons relevé nous-même sur les livres d’une grande usine normande pour la fabrication de la laine les chiffres qui suivent : 2 fr. 50 pour les cardières, 2 fr., 50 ou 2 fr. 75 pour les bobineuses, 2 fr. ou 3 fr. 25 pour les ourdisseuses, 4 francs pour les noueuses, de 2 fr. 25 à 2 fr. 50 pour les tisseuses ordinaires. Il est vrai qu’à côté de ces salaires on trouve une rémunération de 1 fr. 25 pour un certain nombre d’ouvrières payées à la journée et occupées dans le triage des laines ; mais ce sont de vieilles femmes astreintes à un, régime moins strict et disciplinaire que celui qui prévaut généralement dans les fabriques. Dans le tissage du lin, on voit des jeunes filles gagner jusqu’à 4 fr. et 5 fr. par jour. La condition des ouvrières dans l’industrie de la soie a été l’objet d’une intéressante monographie de M. Monnier, ancien secrétaire de l’exposition universelle de 1867[1]. D’après ce consciencieux écrivain, qui ne s’appuie que sur des renseignemens précis et de première source, les salaires des femmes occupées à la fabrication des tissus de soie auraient éprouvé depuis dix ans une hausse considérable, qu’on ne saurait évaluer à moins de 25 pour 100. Dans l’établissement de la Séauve, les ouvrières, presque toutes de très jeunes filles, gagneraient en moyenne de 15 fr. à 18 fr. par semaine, sans compter le logement et le chauffage ; trois sœurs y auraient amassé ensemble, en trois ans, 4,768 fr. Dans une manufacture de rubans de velours, établie aux Mazeaux, les jeunes ouvrières reçoivent en moyenne, outre le logement, 12 fr. par semaine pendant les six premiers mois et 14 fr. pendant les mois qui suivent ; la journée du travail n’y est que de dix heures. Nous pourrions multiplier de pareils exemples. En résumé, on peut considérer qu’actuellement le salaire des femmes dans les industries textiles ne descend que rarement au-dessous de 1 fr. 75, et que le plus souvent il atteint et même dépasse 2 fr. Or 1 fr., c’est précisément là le chiffre moyen de la rémunération des ouvrières parisiennes d’après la dernière enquête de la chambre de commerce de Paris. Si l’on pense que les grandes usines ne chôment pas, tandis que les chômages sont très fréquens et très longs dans la plupart des industries des grandes villes, on verra que l’ouvrière des manufactures de province gagne un salaire annuel qui est supérieur d’un quart ou d’un tiers à celui de l’ouvrière parisienne, et, si l’on tient compte de la différence dans les loyms, dans la nourriture, on trouvera que l’écart, déjà sensible à première vue, s’élargit encore d’une manière incommensurable.

On nous dira que l’homme ne vit pas seulement de pain, et que

  1. De l’Organisation du travail manuel des jeunes filles, par M. F. Monnier. Paris 1869.