Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/644

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’écart entre les taux de rémunération des deux sexes diminuera de plus en plus avec les progrès de la science et de la mécanique. La civilisation se raffine, les travaux de force se transforment en travaux d’adresse ; les appareils automatiques faisant les gros ouvrages, le rôle de la surveillance et de l’habileté devient chaque jour plus considérable. Une grande cause de nivellement entre les salaires des hommes et les salaires des femmes, c’est encore le travail à la tâche, qui parvient de plus en plus à régir les opérations manufacturières. Avec ce mode de rétribution, il n’y a plus d’inégalité de situation entre les deux sexes : on ne peut parler alors de la diversité des besoins, de la différence de position dans la société civile ou dans la famille. Avec une impartialité incontestée, le travail aux pièces paie chacun, homme ou femme, suivant ses œuvres : c’est la loi de justice, incorruptible et inexorable. Il n’est pas rare, même maintenant, qu’une jeune fille gagne plus que son père dans la vigueur de l’âge, qu’une femme contribue aux charges du ménage dans une proportion plus forte que son mari ; les livres des tissages mécaniques nous fourniraient beaucoup de pareils exemples.

Il est incontestable que la grande industrie a été, au point de vue de la rémunération, un immense bienfait pour la femme. Si l’on veut s’en convaincre, il suffit de comparer les salaires des brodeuses, des dentellières et des lingères avec ceux des ouvrières de fabrique ; pendant que les premiers sont stationnaires ou même ont plutôt une tendance à la baisse, les autres ne cessent de hausser d’une manière constante. Les sept huitièmes des ouvrières en dentelle, écrivait il y a trois ans un industriel du Calvados, gagnent rarement au-dessus de 1 franc, et le plus souvent gagnent moins. Les ouvrages, déjà anciens, de M. Jules Simon et de M. Reybaud, l’étude que M. Augustin Cochin a consacrée à la brodeuse des Vosges, diverses monographies sur les ouvrières de l’Auvergne et du centre de la France, fixent à la même somme de 1 franc le salaire moyen des femmes laborieuses, qui ornent avec tant d’habileté ces précieux tissus. La rémunération est restée la même depuis cinquante ans malgré le renchérissement de la vie. Si l’on compare la rétribution des ouvrières de la grande industrie à trois époques différentes, on verra qu’elle croît sans cesse. M. Villermé dans son enquête, qui date du règne de Louis-Philippe, les travaux de M. Reybaud qui sont de 1860, et les documens actuels nous montrent que la progression du salaire des femmes dans les usines est constante. D’après des renseignemens fournis par M. Dollfus, le tissage mécanique, qui ne donnait à l’ouvrière que 1 fr. 65 c. vers 1860, donne aujourd’hui de 2 fr. à 2 fr. 25 cent, aux tisseuses ordinaires ;