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Souvent les économistes ont recherché les causes qui déprimaient ainsi le salaire de l’ouvrière ; ils ont donné généralement pour raison que les besoins de la femme sont moins grands que ceux de l’homme, puisque l’ouvrière est ordinairement soutenue par son mari, son père ou quelque autre de ses parens. Nous n’avons pas ici le loisir de discuter l’influence que ces faits peuvent exercer sur le prix de la main-d’œuvre féminine ; il nous serait aisé de démontrer que l’action de ces causes est très faible, et que l’on doit chercher ailleurs les véritables raisons de la dépréciation du travail des femmes. Le travail humain est une marchandise qui se paie d’autant mieux qu’elle est plus demandée et moins offerte ; le prix d’une denrée n’est-il pas d’autant plus haut que les débouchés sont plus nombreux ou plus variés, que l’étendue du marché est plus grande ? Il en est de même pour la main-d’œuvre : plus vaste est le champ d’emploi, plus la rémunération du travail est élevée ; or qu’arrive-t-il ? Les bras de l’homme ont une sphère d’action presque illimitée : tous les ouvrages qui demandent de la force leur sont accessibles, les ouvrages qui réclament de l’adresse ne leur sont pas non plus fermés. On voit en Belgique des hommes, de jeunes garçons du moins, faire de la dentelle ; on rencontre en Suisse des pâtres faisant de la broderie, et dans le midi, jusqu’à ces derniers temps, le travail de la soie occupait presque autant d’ouvriers que d’ouvrières. Les femmes au contraire n’ont qu’un champ d’emploi limité. Les travaux de force leur sont presque interdits ; il ne leur reste que les travaux d’adresse. Or notre civilisation, encore grossière et peu aidée par les secours de la science, réclamait naguère beaucoup moins de travaux d’adresse que de travaux de force. À cette infériorité s’en joignent d’autres qui peuvent être regardées comme accidentelles et passagères. L’éducation des filles a été jusqu’ici moins cultivée que celle des garçons, et leurs facultés ont été moins développées, de telle façon que le champ d’emploi du travail féminin, déjà restreint par la nature, s’est trouvé encore rétréci par le défaut d’instruction chez les ouvrières. Les carrières ouvertes à l’activité des femmes sont donc peu nombreuses ; elles s’y précipitent toutes en foule, sans discernement ni préparation, et, par suite de leur ignorance professionnelle, elles ne peuvent occuper que les derniers échelons de la production. Le marché de k main-d’œuvre des femmes est toujours encombré, over-stocked, pour nous servir d’une heureuse expression anglaise. C’est assez dire qu’il est inévitable que cette main-d’œuvre soit dépréciée.

La grande industrie et les machines réagissent heureusement contre cette situation : elles tendent à relever notablement le salaire de la femme et à le rapprocher du salaire de l’homme.