Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/639

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fabrications textiles suivirent la même marche et arrivèrent à concentrer toutes les opérations dans des ateliers immenses. Il n’est pas jusqu’à la soie qui n’ait recouru à cette fabrication mécanique. Cette production sur une grande échelle et sur un petit espace devait amener l’établissement de vastes entrepôts ou magasins, voisins et souvent distincts des usines. Les occupations du finissage, du pliage des étoffes, de l’empaquetage, y ont attiré des milliers de femmes et de jeunes filles. Il y a en Angleterre des warehouses où l’on compte autant d’ouvrières que dans les factories. D’après des documens officiels communiqués en 1861 au parlement, les industries textiles de la Grande-Bretagne et de l’Irlande occupaient dans les manufactures 775,534 ouvriers des deux sexes, dont 467,261 femmes ; c’était un peu plus de trois femmes contre deux hommes. D’après les mêmes sources, voici quelle aurait été en dix ans la progression du nombre des femmes employées dans les manufactures de l’Angleterre et du pays de Galles. Les fabriques de coton, de lin, de soie, de laine, d’étoffes mélangées, de chanvre, de jute et de bonneterie, en l’année 1850, occupaient 18,865 filles au-dessous de treize ans, et 260,378 ouvrières au-dessus de cet âge ; en 1861, l’on comptait 32,667 filles au-dessous de treize ans, et 338,500 femmes plus âgées. Ainsi le nombre des jeunes ouvrières dans les manufactures de tissus avait presque doublé en dix ans, tandis que celui des ouvrières adultes avait seulement augmenté d’un tiers. La proportion exacte est de 80 pour 100 d’augmentation pour les jeunes filles ayant moins de treize ans, et de 30 pour 100 du chiffre des autres ouvrières. On voit que non-seulement l’effectif des femmes employées par les manufactures s’accroît sans cesse, mais encore que ce sont surtout les jeunes filles de l’âge le plus tendre qui sont attirées en masses de plus en plus grandes dans les usines.

Les industries textiles en Europe ont définitivement, et pour ne plus le quitter, adopté le régime manufacturier. Là ne s’est pas arrêtée la concentration des opérations industrielles. La mécanique poursuit ses conquêtes, elle ne se contente pas de filer, de tisser, d’apprêter les étoffes ; elle les coupe, les coud, les confectionne, si bien qu’elles sortent de l’usine toutes prêtes à servir aux besoins de la vie. En Angleterre, à Nottingham, les métiers circulaires, marchant à la vapeur, produisent le tricot par larges pièces, dans lesquelles on taille des morceaux pour les adapter aux destinations les plus variées. La fabrication de la bonneterie s’opère ainsi dans de vastes ateliers, et nos départemens de l’Aube et du Calvados tendent à suivre l’exemple de Nottingham. On a vu la machine soumettre à son domaine jusqu’à ces opérations délicates et